Apprendre à l’École de l’Océan

À l’ère du réchauffement climatique, la santé des océans est un enjeu international de taille. Et l’heure est grave: la température et le niveau de l’eau montent, le plastique s’y entasse par centaines de tonnes et la biodiversité diminue à une vitesse alarmante. Pendant que les autorités mondiales tentent de s’entendre sur les mesures pour éviter la catastrophe, des initiatives prennent forme pour enseigner à la jeune génération l’importance de prendre soin des écosystèmes cruciaux pour notre survie. Qu’ils vivent près d’une rivière, d’un fleuve ou de la mer, les jeunes savent à quel point protéger ces mondes fragiles est une question de survie… et d’avenir.

L’École de l’Océan est née d’un amour profond pour le monde marin et un dévouement aux science océaniques, le tout combiné à une volonté de développer un outil de sensibilisation pour les jeunes. Cette nouvelle plateforme éducative et interactive fait voyager les élèves dans les eaux du monde entier à la découverte de ces univers complexes et passionnants et des actions concrètes qu'ils pouvons poser pour en assurer la vitalité.

La genèse d’une école interactive

2012. Dr Boris Worm de l’Université de Dalhousie est en voyage en Indonésie, où il fait la découverte d’une école flottante qui enseigne aux élèves l’importance des océans. Il trouve le concept aussi essentiel que formidable et c’est donc emballé et les yeux remplis d’étincelles qu’il revient au pays pour en discuter avec son ami et producteur à l’ONF, Paul McNeil. Ensemble, ils commencent à dessiner les pourtours de ce qui deviendra plusieurs années plus tard l’École de l’Océan telle qu’elle est aujourd’hui. La courbe d’évolution du projet est tout aussi fascinante que le sujet lui-même. C’est qu’il en a fallu des brainstorms, des rencontres et des culs-de-sac pour créer cette école interactive unique en son genre!

Il aura fallu cinq ans et quelques voyages d’exploration pour donner le coup d’envoi au projet, fort d’une importante participation financière des fonds de recherche et développement du ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance de la Nouvelle-Écosse de même que de Pêches et Océans Canada, qui a financé le projet. Paul McNeil et le producteur exécutif Dominic Desjardins tirent ensuite leur révérence, et Jacques Gautreau leur succède au poste de producteur exécutif. Ce dernier frappe à la porte d’Akufen, qui n'en était pas à sa première collaboration avec le Studio interactif de l'ONF, tout d’abord pour créer une image de marque forte pour le projet, avec le défi d'en dire beaucoup avec un petit logo.

Au fur et à mesure que la collaboration avançait, les discussions avaient tendance à bifurquer sur la plateforme ainsi que ses possibilités et à enflammer la créativité des concepteurs. Aucun doute dans l’esprit de Jacques: le studio était le partenaire idéal pour réaliser le projet.

«Nous savions à ce moment que nous avions consolidé tous nos partenaires. Nous étions prêts à commencer à faire des choix pour développer la forme du projet. Nous avons rapidement décidé de nous positionner à l’intersection de la science, de l’éducation et du storytelling pour créer une école interactive unique. D’un côté, nous avions une volonté d'utiliser des technologies réellement innovantes pour surprendre et marquer les jeunes; de l’autre, nous avions accès à des scientifiques exceptionnels qui connaissaient tout de la problématique. Et, finalement, nous avions des partenaires clés en éducation qui étaient prêts à nous épauler. Tout était là!» Jacques Gautreau, producteur exécutif à l’ONF

Mettre une école au monde

Les idées étaient foisonnantes et les investisseurs (dont un nouveau partenaire, le Musée canadien des sciences et de la technologies - Ingenium) étaient engagés et enthousiastes, mais l’équipe était loin de son objectif. Tout était à faire. Akufen avait un mandat titanesque (pour ne pas faire de mauvais jeu de mots). D’un côté, l’équipe de concepteurs devait créer une plateforme interactive permettant aux jeunes de découvrir le contenu d’une manière engageante et surprenante. De l’autre, elle devait faire face à un réel défi technologique du fait que l’accessibilité était au cœur des objectifs du projet. La plateforme devait être accessible sur tous les appareils, tous les navigateurs et avec tous les types de connexion, d’un bout à l’autre du pays.

«L’objectif premier était de créer un environnement immersif pour susciter la créativité et l’émerveillement chez les jeunes, tout en composant avec des contraintes d’accessibilité de taille! Nous savions que nous voulions utiliser les technologies de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle, mais nous avons tout de même décidé de ne pas aller vers le développement d’une application iOS ou Android. Nous avons développé la plateforme entièrement sur le Web pour qu’elle soit facile d’accès pour tous. Il n’y a rien de plus facile d’accès qu’un site Web! Tous les laboratoires informatiques des écoles ont une connexion Internet et c’est ce qui avait le plus de sens pour nous pour que tous les jeunes puissent accéder au contenu.» — Christian Lebel, directeur des technologies, Akufen

Sur le plan pédagogique, l’apprentissage par enquête, porté à bout de bras par l'équipe de pédagogues de l'ONF, a rapidement fait ses preuves et s’est avéré la meilleure méthode pour guider les élèves dans l’École de l’Océan. Le principe est simple: le jeune se fait poser une grande question liée à la thématique des océans. Il doit ensuite partir à la recherche d’éléments de réponse qui lui permettront de se construire un argumentaire. Ce sont donc les élèves qui mènent leurs apprentissages ici. Les seuls objectifs à atteindre sont d’utiliser son esprit critique, de faire preuve de raisonnement, d’avoir des prises de conscience et de faire des déductions qui permettent de se faire sa propre idée sur le problème. D’une hypothèse de départ, ils expérimentent différentes situations par le biais de modules interactifs et, ensemble, ils découvrent comment chaque partie influence le tout.

«L’objectif premier était de créer un environnement immersif pour susciter la créativité et l’émerveillement chez les jeunes»

La première étape était de créer un cadre d’apprentissage par une expérience utilisateur qui accompagnerait les élèves et les professeurs dans la découverte du contenu. À cet égard, Akufen a littéralement agi comme bougie d’allumage en planchant sur des concepts de navigation, une architecture de l’information et des interactions amusantes, stimulantes et signifiantes pour les jeunes.

«On discutait régulièrement avec les équipes de scientifiques et de l’éducation pour qu’ils nous présentent leurs objectifs d’apprentissage et pour nous assurer que nous comprenions bien tous les enjeux. Après, on brainstormait des idées de notre côté et, dès qu’on avait quelque chose de concret à leur présenter, on en discutait tous ensemble afin de faire évoluer les idées. C’était un réel processus collaboratif dans lequel toutes les expertises étaient éclatées et où chaque personne autour de la table contribuait à l’avancement du projet. C’était très complexe, mais très fluide comme dynamique de travail. Nous avions un seul groupe Slack et nous échangions constamment sur tous les aspects du projet. Les développeurs comme les créateurs étaient impliqués à fond. C’était essentiel pour fonctionner en Agile.» Frédérique Marquez, à l’époque chargée de projet pour Akufen

L’expérience de l’École de l’Océan

Tout d’abord, la plateforme est accessible aux professeurs qui y créent une classe à l’aide de la plateforme Google Classroom, dans laquelle s’inscrivent les élèves qui se créent en premier lieu une équipe, puis un drapeau d’appartenance. En entrant dans l’expérience, ils naviguent dans un environnement 3D dans lequel sont disposées des bouées de contenu qui leur indiquent où sont les éléments liés à l’enquête. Il en revient à chacun d’eux de découvrir le contenu au fil de leurs questions et de leurs intérêts.

À l’heure actuelle, trois modules interactifs sont en ligne sur LlÉcole de l’Océan. Le premier permet aux jeunes de disséquer une morue et d’en comprendre toutes les parties, le deuxième leur enseigne la migration des requins et le dernier démontre toutes les répercussions dramatiques de l’accumulation du plastique dans l’eau des océans de la planète.

S’ajoute également une expérience en réalité virtuelle qui explique concrètement aux jeunes comment l’agriculture influence la biodiversité marine. Deux élèves y participent: l’un porte un casque de RV et l’autre est posté derrière une console d’ordinateur. Le premier est catapulté dans une ferme d’huîtres, alors que le deuxième est agriculteur et veille à la production de ses terres. Lorsqu’il ajoute de l’engrais, le jeune qui est au fond de l’océan constate que les produits sont déversés dans l’eau et que les huîtres meurent. Quand celui-ci demande à l’étudiant-agriculteur de cesser d’utiliser des engrais, celui-ci constate que ses terres sont beaucoup moins productives. Comment trouver un équilibre entre la santé de l’eau et celle des terres? Là est toute la valeur de l’enseignement par enquête: c’est à eux de négocier et de décider.

«Ce que nous voulions créer était pas mal plus près d’une start-up techno que d’un film ou d’une expérience interactive classique»

«La plateforme en soi devait être immersive et proposer une navigation non traditionnelle. Nous avons eu beaucoup de conception à faire en amont, mais beaucoup d’optimisation pour que tout fonctionne en WebGL, ce qui permet de faire l’affichage du 3D sur le Web. Comment faire pour créer un fond sous-marin qui est accessible, peu importe le support et la connexion? Tout ça en gardant un look cool, une direction artistique intéressante pour les jeunes.» Christian Lebel

Il faut rappeler que l’École de l’Océan, c’est aussi des vidéos tournées avec des scientifiques qui partent en expédition et amènent les jeunes avec eux!

«Les protagonistes qui sont attachés au projet sont de vrais scientifiques qui font de la science en temps réel! C’est toujours tourné en direct. Nous faisons d’abord une captation du contenu en mission, puis un montage et, finalement, nous créons des modules et des activités liées au contenu que nous avons tourné. Nous avons tourné dans le nord de l’Atlantique, au Costa Rica, aux îles Coco et à Bella Bella en Colombie-Britannique. Cette dernière expédition était très spéciale puisque nous avons travaillé avec la communauté autochtone de Bella Bella. Nous nous sommes d’abord déplacés et nous nous sommes entretenus avec eux pour connaître les enjeux qui menaçaient leur communauté. C’est à partir de nos discussions que nous avons imaginé le contenu pour l’École de l’Océan. Nous prévoyons partir en Indonésie, à Raja Ampat, qui est l’endroit ayant la plus grande biodiversité au monde, et en Australie pour tourner un module sur le rôle que la biodiversité peut jouer dans les changements climatiques.» — Jacques Gautreau

Un défi multi-institutionnel qui unit

L’École de l’Océan était en quelque sorte une start-up technologique en constante évolution qui avait besoin de sonder ses utilisateurs à intervalles réguliers pour comprendre comment ils souhaitaient utiliser la plateforme et ce qui devait être amélioré en cours de route. Nécessairement, le fait de travailler avec un assemblage d’institutions scientifiques, universitaires, culturelles et gouvernementales a été un beau défi!

«D’un côté, il y avait les scientifiques qui trouvaient qu’on manquait parfois de clarté! On leur répétait toujours que ce n’était pas grave si on n’avait pas les réponses avant d’aller faire l’expédition, mais eux vivaient plus ou moins bien avec l’idée qu’il était possible qu’ils ne trouvent rien. Nous avons aussi vécu des chocs de culture. Ce que nous voulions créer était pas mal plus près d’une start-up techno que d’un film ou d’une expérience interactive classique. Finalement, nous devons présenter une nouvelle formule au monde pédagogique et l’inspirer à se joindre à l’aventure!» — Jacques Gautreau

Mais, à l’origine de tous ces problèmes, une thématique qui unit: celle de sensibiliser la jeune génération à la sauvegarde des océans. Se rallier à l’École de l’Océan, c’est se rallier à cet objectif plus grand que le projet lui-même et qui requiert nécessairement de tout faire pour que cette grande mission se concrétise. C’est d’ailleurs cette vocation commune qui a permis aux acteurs de tisser des liens inébranlables entre eux et assuré une reprise rapide du travail après chaque sortie de piste.

«Ultimement, nous avions tous le désir de faire un grand projet, pour une grande cause.»

«Il fallait souvent trancher et ramener les intervenants autour de la table à notre vision commune. Tout devenait plus clair lorsqu’on partait de là. Il y avait tellement de demandes, de désirs et d’idées de grandeur pour le projet que le plus gros défi en gestion était d’aider les différentes équipes à prioriser leurs besoins en fonction des différentes phases. Nous avions tous l’envie profonde que ce soit agréable! Ultimement, nous avions tous le désir de faire un grand projet, pour une grande cause.» Frédérique Marquez

Un projet en constante évolution

Plus de 700 professeurs ont déjà manifesté leur intérêt à travailler avec la plateforme éducative, ce qui représente un bassin de près de 60 000 jeunes qui pourraient y avoir accès. Mais il faut s’armer de patience pour s’intégrer dans le programme scolaire, surtout dans le contexte asymétrique canadien où l’éducation est une compétence provinciale. Cependant, les années n’ont pas raison de l’enthousiasme des créateurs du projet. Bien au contraire!

«Je pense sincèrement que le changement passera par la jeune génération. Il n’y a rien comme un jeune qui a une idée derrière la tête et qui décide d’embarquer toute sa famille dans sa mission. J’ai réussi à faire arrêter de fumer mon père à 12 ans comme ça! Les jeunes comprennent les enjeux et l’important c’est de leur donner accès à des outils qui vont les inciter à réfléchir et les inspirer à prendre action. Nous sommes vraiment fiers que l’École de l’Océan en fasse partie.» Jacques Gautreau

«Je pense sincèrement que le changement passera par la jeune génération»

L’objectif avoué est de traverser les frontières et d’ouvrir l’École de l’Océan aux jeunes de partout dans le monde afin qu’ils puissent accéder gratuitement au contenu et aux modules interactifs. La participation de plusieurs partenaires internationaux pourrait accélérer le processus, espère le producteur. En attendant, le projet continue de grandir et l’équipe d’Akufen crée actuellement un dôme interactif. Imposant et immersif, il pourrait facilement s’intégrer dans une programmation muséale ou faire la tournée des écoles. L’histoire au cœur de cette expérience est celle d’une tortue centenaire qui a vu son monde basculer avec l’arrivée du plastique. Encore une fois, les concepteurs jonglent avec des défis techniques de taille, mais tous s’entendent pour affirmer que la survie de notre environnement en dépend après tout!

Pour en apprendre plus sur le développement technique du projet, l’équipe de développeurs et d’intégrateurs a préparé une étude de cas (en anglais seulement) qui rappelle les nombreux défis qu’elle a dû surmonter pendant la création de l’École de l’Océan.


Anne-Marie Archambault
Anne-Marie Archambault est directrice stratégie et expériences de contenu chez Akufen. Versatile et centrée sur l'expérience-utilisateur, elle est la courroie de transmission entre le fond et la forme, entre la stratégie et l'émotion. Elle a travaillé comme pigiste de nombreuses années en télévision et en numérique, œuvrant au sein d'équipes créatives en expérimental et en interactif. Anne-Marie est fascinée par le processus de création, les mondes qui s'entrechoquent et les idées qui prennent vie.
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