Ce que les marques et les annonceurs ont appris des Youtubeurs

Douze ans après le lancement de YouTube, les créateurs sur les réseaux sociaux forment aujourd’hui une industrie en bonne et due forme. Au fil des ans, les entreprises ont beaucoup appris des Youtubeurs, non seulement à propos des auditoires, mais aussi à propos de la publicité.

YouTube a grandi et, à bien des égards, c’est exactement ce qui devait arriver. La plateforme vidéo universelle est née en février 2005 et, à l’époque, rien ne laisser envisager ce que réservait l’avenir à ce site qui permettait à quiconque, et de n’importe où, de téléverser gratuitement des vidéos pour les présenter au monde entier.

Aujourd’hui, YouTube est le deuxième moteur de recherche en importance sur la planète (Google, son propriétaire, exploitant évidemment le moteur de recherche le plus utilisé dans le monde). Plus d’un milliard d’heures de vidéo sont regardées quotidiennement par plus d’un milliard d’internautes et le site héberge des millions de chaînes couvrant une pléthore de sujets : comédie, cuisson, devoirs scolaires, tutoriels sur le maquillage et pièces bien plus aléatoires (par ex., un couple en train de déballer des matelas achetés sur Internet).

La récente tenue du 5e Buffer Festival à Toronto, « une vitrine pour des vidéos YouTube inédites ayant pour but de célébrer le contenu artistique et innovateur de créateurs numériques acclamés », laisse clairement voir que ce qui était jadis une communauté portée par des intérêts ciblés et des passions personnelles est devenue une industrie en pleine croissance.

Rien en permettait d’en arriver à cette conclusion plus facilement que la troisième journée dédiée à l’industrie organisée par le festival, à laquelle ont assisté quelque 250 représentants des secteurs du marketing, du branding et de la publicité ainsi que d’agences de talents.

Autrefois, ces mondes fonctionnaient du haut vers le bas, dans le sens où un groupe relativement restreint d’acteurs de l’industrie dictaient la forme que prendraient les campagnes. Ce groupe décidait qui allait les mener et comment les messages seraient soigneusement gérés. Puis, l’arrivée d’Internet a tout changé – pas abruptement, mais au fil du temps.

Youtubeurs : d’amateurs à mégavedettes

Cela fait plus de 20 ans depuis que la première évaluation d’un produit a été mise en ligne sur Amazon et plus d’une décennie depuis qu’un groupe de personnes – ceux qu’on nomme aujourd’hui les « Youtubeurs » – ont fait leur apparition sur le web en parlant directement à la caméra.

Ces gens ont exprimé leurs opinions sur des sujets que bien des gens jugeaient banals. Néanmoins, les Youtubeurs ont réussi à susciter une attention inimaginable, tellement inimaginable que les professionnels n’ont eu d’autre choix que d’accepter ce qui n’était de toute évidence pas une mode passagère.

Concernant cette transition d’un modèle « commande et contrôle » à un modèle participatif – et souvent imprévisible – des médias de radiodiffusion, Sally Catto, directrice générale de la programmation de la CBC, avait ceci à dire à l’ouverture de l’Industry Day du festival :

« [YouTube] a transformé tout le paysage médiatique », mentionnant au passage une étudeselon laquelle des mégavedettes sur YouTube comme SmoshNigaHiga et Markiplier sont aussi, sinon plus, populaires et crédibles auprès des jeunes aujourd’hui que des célébrités[1] de la notoriété de Taylor Swift et de Bruno Mars.

Publicité : des publicités en prélecture au marketing de contenu

Cette transformation s’est produite en deux étapes. D’abord, une communauté organique de créateurs a réussi à attirer un nombre tel d’internautes et à monopoliser tellement de temps de visionnement qu’ils ont réussi à gagner leur vie de leurs vidéos.

Au début, la publicité était surtout placée directement avant ou pendant les vidéos. Il s’agissait d’un calque sur le modèle publicitaire traditionnel.

A suivi la prochaine étape, soit lorsque des entreprises se sont rendu compte qu’il leur était plus efficace de s’adresser à leur public non pas par l’entremise de publicités conventionnelles, mais plutôt directement à travers le travail de millions de créateurs qui apportent leur expertise personnelle aux vidéos qu’ils téléversent et qui ont rejeté le mécanisme de diffusion traditionnel en favorisant plutôt une relation directe avec les fans.

Comprendre cette transformation est fondamental, car elle marque une transition entre une publicité axée sur les caractéristiques et les avantages et une publicité axée sur du contenu divertissant et/ou informatif, que les consommateurs choisissent de regarder. Ainsi, la publicité passe de quelque chose que la plupart cherchaient à éviter à tout prix à du contenu que les gens regardent, parfois à répétition, commentent et partagent. C’est toute une réorganisation des définitions et des séquences.

Étude de cas : Marriott Hotels et sa série Two Bellmen

Le nouveau modèle ressemble davantage à ceci : si vous êtes une chaîne d’hôtels, ne parlez pas de la qualité de vos matelas ou l’attention de vos réceptionnistes. Ces caractéristiques et qualités sont beaucoup moins importantes qu’elles l’ont été jadis parce que, aujourd’hui, n’importe qui peut facilement trouver de tels attributs de produits dans notre monde où tout se trouve au bout des doigts.

C’est une des raisons pour laquelle, depuis 2015, Marriott Hotels adopte une approche marketing très différente. Dans la foulée d’une décision audacieuse, la société hôtelière a fondé son propre studio, misant ainsi sur du contenu – intégrant les thèmes de la dramatique et de l’aventure du voyage – plutôt que sur des publicités interruptives pour attirer l’attention des consommateurs.

Prenant la parole à l’Industry Day du Buffer Festival, David Beebe, qui dirige le studio de contenu de Marriott, a présenté la série de vidéos Two Bellmen de la chaîne. Ces vidéos durent entre 30 secondes et plus de 30 minutes et ont été visionnées des millions de fois.

La page YouTube où sont hébergées les vidéos présente la série comme suit : [traduction] « Rencontrez Gage et Christian. Gage est sérieux, concentré et totalement dévoué à son travail de porteur. Il étudie et est en formation pour cet emploi. Quant à Christian, bien, disons qu’il cherche à s’amuser. Ensemble, ils forment l’équipe des deux porteurs et ils font bien plus que simplement transporter vos bagages. Ils sauvent le monde, jour après jour, dans une étonnante prestation qui combine du parkour, de la danse et des arts martiaux. »

La vidéo Two Bellman la plus regardée dure près de 35 minutes et a été vue plus de neuf millions de fois.

Mesurer le marketing de contenu : des mentions « J’aime » aux sentiments

Mais à quoi bon des millions de visionnements d’une série divertissante mettant en vedette deux porteurs chez Marriott? La question mérite d’être posée : ces visionnements se traduiront-ils par une hausse des réservations pour la chaîne?

Dans le cadre d’un panel tenu pendant l’Industry Day, un groupe de dirigeants des secteurs des stratégies de marque, du marketing et de la radiodiffusion se sont réunis pour en discuter.

Comment mesurez-vous le succès de vos programmes de marketing d'influence?

Source: Linqia; novembre 2016; 170 marketeurs B2C (via Statista)

Whitney Bell, gestionnaire principale de la marque de produits d’hygiène pour hommes Axe d’Unilever, a affirmé qu’elle et son équipe ne se contentent pas de ne mesurer que les mentions J’aime. Des « J’aime », c’est bien, mais ça ne peut pas s’arrêter là.

Bell estime que, en sa qualité de gestionnaire de marque, elle doit aller au-delà des pouces en l’air et évaluer des facteurs comme les sentiments exprimés à propos de la marque, qui peuvent fournir des indicateurs de la santé et la valeur de la marque. C’est cela qui se traduit en ventes.

Un autre paneliste, Mike McShane, directeur des affaires et des partenariats chez Bell Media, a parlé de la délicate danse qui s’enclenche lorsqu’on travaille en tandem avec des Youtubeurs. Il y a des lignes directrices à suivre par rapport à la marque, a-t-il tenu à rassurer l’auditoire, mais il faut apprendre à lâcher prise un peu.

Établir comment rester fidèle au message et au sens de la marque peut cependant relever davantage de l’art que de la science. Tout le monde est en quête de cette qualité élusive qu’est l’authenticité.

Cependant, comme l’a fait valoir McShane, la relation entre une marque et un Youtubeur se résume souvent à bien plus qu’une vidéo filmée par le créateur sur son iPhone pour ensuite en faire bénéficier la marque. Au contraire, il arrive souvent que des scènes soient filmées par des professionnels et que ce soient ensuite des créateurs qui diffusent ces vidéos dans leurs réseaux respectifs.


[1] Depuis, une nouvelle étude a été publiée et elle présente un portait plus nuancé de la popularité des vedettes du numérique : http://variety.com/2016/digital/news/youtube-stars-traditional-celebrities-data-1201799487/


Leora Kornfeld
Jusqu’à présent, Leora Kornfeld a été vendeuse dans un magasin de disques, animatrice à la radio de la CBC, rédactrice de cas à la Harvard Business School, blogueuse et cruciverbiste chevronnée. Elle est actuellement consultante en médias et en technologies et travaille avec des clients américains et canadiens.
En savoir plus