Coder ou ne pas coder ?

Après avoir maîtrisé l’écriture, l’image et le son, après avoir commencé à harnacher l’immense potentiel du data, le code est-il devenu le nouveau must pour les créateurs, artisans et producteurs en création audiovisuelle ? Les codeurs, nouveaux rockstars ?

C’est ce qui semble ressortir de plusieurs analyses et carnets de notes mis à jour récemment alors que le festival South by Southwest vient tout juste de clore son édition 2013. Avec 27 000 participants inscrits, le volet interactif du festival a attiré plus de participants que les volets cinéma et musique.

Alors que le MIPCube bat son plein, force est de constater que la littératie informatique est en train de s’incruster, de gré ou de force, dans l’ADN et dans les mœurs éditoriales des créateurs, des maisons de production et des diffuseurs en changeant progressivement les rapports traditionnels au sein des équipes, entre les partenaires d’un même projet ainsi qu’entre producteurs et distributeurs.

Du côté des producteurs-diffuseurs, alors qu’ils sont déjà évidemment des piliers chez les pure players comme YouTube ou Netflix, les geeks revendiquent avec vitalité un espace de réflexion et de chantiers numériques très prometteurs, au-delà de l’interactivité grand public et cross-média mise au point partout depuis les dix dernières années. Les créateurs sont au rendez-vous, réinventant avec eux le storytelling. Radio-Canada a son service interactif; France Télévisions, ses cellules de prospective et de nouvelles écritures; Canal+ et Arte ont aussi leurs divisions transmédia, bien lancées en production. Ici, l’Office national du film (ONF) est à la fine pointe en produisant et diffusant depuis 2009 des œuvres interactives majeures, dont certaines en coproduction avec Arte ou France Télévisions.

Mais y a-t-il urgence d’apprendre à coder ? Et qu’en est-il des producteurs indigènes et des créateurs indépendants ? Beaucoup de questions sur lesquelles planchent plusieurs laboratoires de réflexion et de production, dont le RCLab, car la question est vraiment dans l’air du temps. L’Open Documentary Lab, du Massachusetts Institute of Technology à Boston, fait cohabiter cinéastes en devenir et « poètes du code », des hackers aguerris. Afin de démocratiser l’apprentissage du code, un des professeurs du Media Lab, Mitchel Resnick, a mis au point Scratch, un langage de programmation informatique intuitif, destiné aux enfants de 8 ans et plus, permettant la création et le partage d’histoires interactives et de jeux, entre autres. Mais entre adultes, la question est abordée régulièrement, et le magazine Filmmaker, en collaboration avec l’OpDocLab, a lancé tout dernièrement une grande série d’entrevues sur la question du code avec des réalisateurs, qui seront publiées ici :

« Il est manifeste que l’obstacle d’entrée au storytelling numérique n’est pas la capacité à coder, mais la capacité à travailler avec quelqu’un qui code. Comment trouver des technologues ? Quel est le processus pour travailler avec eux ? Quelles sont les habiletés requises ? Dans quelle mesure faut-il connaître la programmation ? Où se trouve le financement ? »  source

Plus encore :

« Les questions ne manquent pas. De quelle façon les cinéastes et les technologues peuvent-ils accéder aux ressources financières, techniques et artistiques pour promouvoir le domaine ? »  source

La toute dernière entrevue mise en ligne sur le site de Filmmaker fait la part belle à Hugues Sweeney, producteur interactif à l’ONF. Il y résume très bien les nouvelles approches 360° en production documentaire mais aussi la redéfinition du rôle du codeur dans ses équipes :

« […] En production documentaire classique, le réalisateur est à la fois le chef d’orchestre et le premier violon. En production numérique, dans 99 % des cas, il est un chef d’orchestre devant 30 réalisateurs. Je dis souvent que le créateur est une équipe. La plupart des projets que je produis sont le fruit d’un effort collectif — tous participent au même niveau. Ce qui ne me simplifie pas la tâche, par contre. Voilà le défi à relever : rassembler des gens qui ignoraient l’existence des autres et leur permettre de s’enrichir mutuellement grâce à un projet commun. »

Apprendre à coder ? Peut-être pas tout de suite. Que ce soit en fiction ou en documentaire, le codeur créatif est maintenant un joueur clé, un poste hybridé appelé à devenir aussi le médiateur de la participation de l’auditoire au récit. Et alors que disparaissent les dynamiques traditionnellement hiérarchiques, comme le mentionne Sweeney, c’est la culture du code qu’il faut maintenant acquérir.


Suzanne Lortie
Détentrice d’un diplôme en production de l’École nationale de théâtre du Canada et d’un MBA de HEC Montréal, Suzanne Lortie est professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis juillet 2012. Directrice de production et productrice déléguée en télévision depuis 1992 (grandes séries variétés et culture primées aux galas des prix Gémeaux et par l’ADISQ, documentaires), elle est consultante en stratégies nouveaux médias.
En savoir plus