Contenus audio pour petites oreilles: quand la balado francophone s’adresse aux enfants

Le 31 mars 2016, dans un article intitulé «Where Are All the Kidcasts?», The Atlantic notait: «La baladodifusion pourrait offrir […] un moyen pour divertir et éduquer les enfants sans avoir peur de brûler leurs rétines ou ruiner leur imagination. De plus, elle s’insérerait de manière harmonieuse dans des routines existantes, de longs trajets en voiture ou le temps calme avant le coucher [traduction libre].» Trois ans plus tard, si la production de balados jeunesse se développe rapidement dans les marchés anglophones, il n’en va pas encore de même dans la francophonie, où elle reste marginale. Mais les choses sont en train de changer, et les petites oreilles de moins en moins délaissées.

Ce n’est un secret pour personne, à l’heure où la révolution numérique transforme les habitudes de consommation médiatique des publics, l’appétence pour la baladodiffusion est en croissance exponentielle, au Canada comme à l’échelle internationale. Ainsi, tel que nous le rappelons dans notre dernier rapport sur les tendances, «le contenu audio continue de se tailler une place de choix dans les habitudes de consommation des Canadiens. Ce sont maintenant 61% des adultes qui connaissent le phénomène, un pourcentage à peine inférieur à celui des États-Unis, où 64% de la population estime connaître la baladodiffusion (source: Edison Research). Au Canada, sans grande surprise, ce sont les 18-34 ans qui témoignent le plus d’enthousiasme pour ces contenus audio. 41% des membres de ce groupe d’âge en écoutent chaque mois. La moyenne canadienne s’établit à 28%.»

Aux États-Unis, depuis 2017, l’écoute de balados est en croissance dans tous les segments de la population, mais plus particulièrement auprès des 12-24 ans, avec une augmentation de plus de 30%. De plus, 53% des abonnés de Spotify entre 12-24 ans affirment avoir écouté un balado au cours du dernier mois (source: The Infinite Dial 2019). D’ailleurs, le développement important des haut-parleurs intelligents risque de contribuer à accentuer encore plus cette tendance et la soif des publics pour les contenus audionumériques (Rapport sur les tendances 2019, Fonds des médias du Canada). Du côté des producteurs indépendants, depuis le succès planétaire de la série américaine Serial en 2014, de nombreux studios et créateurs se sont lancés dans l’aventure. Au Québec, le studio Magnéto, parmi les premiers du genre, et les nouveaux joueurs comme Grand public ou encore RECréation tirent leur épingle du jeu en faisant alterner productions originales et commandes.

Plus largement dans la francophonie, Nouvelles Écoutes (France), Louie Media (France), ou encore l’Atelier de création sonore radiophonique (Belgique), contribuent, parmi de nombreux autres, à réinventer les codes de la narration audio et à donner une nouvelle jeunesse au médium radio.

Une production encore marginale, mais en voie de prendre son essor

Cependant, la production pour enfants reste encore marginale au sein du raz-de-marée balado de ces dernières années, tout particulièrement en langue française. Ainsi, si aux États-Unis le réseau de producteurs jeunesse Kids Listen compte des dizaines d’organismes et créateurs dédiés à la production de balados jeunesse (sans pour autant arriver à un volume approchant la production pour adultes), peu de producteurs indépendants issus de la francophonie s’y sont aventurés. Pendant de nombreuses années, d’ailleurs, les productions balado destinées aux jeunes publics francophones se sont essentiellement concentrées sur des lectures de classiques de la littérature jeunesse, comme a pu le faire France Culture avec sa série Tintin, par exemple. Aussi, des émissions de radio consacrées aux jeunes publics émaillaient les programmations de certaines chaînes (comment oublier la formidable émission 275 allô de Radio-Canada, ou ne pas s’émerveiller de la longévité des P’tits bateaux de France Inter!).

Mais les choses commencent à bouger. Les grands joueurs historiques de la radio francophone commencent à explorer la production jeunesse et en bousculent un peu les codes. Sur les ondes de Radio-Canada, on peut ainsi suivre les aventures d’El Kapoutchi, roi des méchants, pensé pour les 4 à 8 ans par Alexandre Courteau et Pascale Richard. Du côté de France Inter, Une histoire et… Oli invite des auteurs de renom (Marie Desplechin, Antoine de Caunes ou Guillaume Meurice, notamment) à imaginer et raconter de courts contes audio pour les 5 à 7 ans, et la série Les Odyssées plonge les 7 à 12 ans dans de passionnants récits de vie de grandes figures de l’histoire.

Les producteurs francophones indépendants, eux aussi, commencent à s’y intéresser. Ainsi naissait fin 2017 le studio québécois La puce à l’oreille, exclusivement consacré à la production audio narrative jeunesse (par souci de transparence, il convient de préciser que l’auteure de ce texte en est l’une des cofondatrices). En 2018, Louie Media produisait la touchante série Entre, s’intéressant au basculement de l’enfance à l’adolescence de Justine, 11 ans. Ainsi, les courtes fictions audio ont commencé à fleurir sur les plateformes de balados françaises telles que Sybel, Majelan ou Eeko. Rascasse le vieux marin, une fiction bercée de douceur et de poésie, de la productrice belge Zoé Suliko, remportait le prix de l’Audio Book pour enfants au New York Festivals Radio Award 2019.

Enfin, en 2019, La puce à l’oreille présentera à Montréal Les récrés sonores, le premier festival dédié au genre, une initiative également liée au réseau L’écoute buissonnière, rassemblant les producteurs de L’Armada productions, de l’Atelier de création sonore radiophonique, de La puce à l’oreille et du magazine Syntone.

Autant de pas en avant qui donnent à penser que le secteur jeunesse francophone prendra bientôt une place de choix.

Au-delà du divertissement, la baladodiffusion au service d’usages pédagogiques

Ainsi, selon la plateforme Lettres numériques, l’écoute de livres audio multiplie par deux l’appétit pour l’apprentissage de la lecture, par trois l’acquisition du vocabulaire, par cinq la maîtrise de la langue et par huit la compréhension du texte. Aussi, selon une étude du réseau Kids Listen, portant sur les habitudes d’écoute de balados chez les jeunes publics, la baladodiffusion recèle un potentiel pédagogique important:

  • 80% des enfants écoutent un balado plus d’une fois;
  • Près de 20% écoutent un épisode au moins 10 fois;
  • Après avoir écouté un balado, 73% lancent des conversations en lien avec leur écoute, 58% citent ou rejouent ce qu’ils viennent d’écouter, 56% parlent à d’autres enfants de ce qu’ils ont appris dans le balado, 54% demandent à réécouter l’épisode et 52% réclament plus d’information sur le sujet du balado qu’ils viennent d’écouter.

Tout doucement, ces données font du chemin auprès des institutions: les musées, par exemple, commencent à envisager la narration audio comme une manière de réinventer les voies de médiation culturelle à destination des jeunes publics, aussi bien en amont, que pendant, voire en aval de la visite. Citons à ce sujet l’initiative Promenades imaginaires, du Musée d’Orsay, et le projet (en cours) de parcours muséaux sonores au Musée des beaux-arts de Montréal, produit en collaboration avec La puce à l’oreille et Magnéto, avec le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec. Il y a fort à parier qu’il ne s’agit pas du dernier projet du genre.

La baladodiffusion francophone jeunesse serait-elle ainsi sur le point de suivre les traces des contenus adultes, avec, on l’espère, le même succès? C’est en tout cas avec impatience que nous attendons les grilles d’automne des grands joueurs, et la sélection de la toute nouvelle catégorie du Paris Podcast Festival, la catégorie «enfants»!