Découvrabilité intrinsèque: une nouvelle approche de la découvrabilité pour les jeux vidéos

S’il est d’emblée difficile de concevoir un jeu vidéo remarquable, il s’avère encore plus ardu de le faire connaître auprès de joueurs potentiels. La prolifération de l’Internet à large bande, des boutiques numériques, des abonnements de type «buffet à volonté» et des modèles d’affaires basés sur le jeu gratuit fait en sorte que les consommateurs se retrouvent devant une quantité quasi infinie de contenus.

Même si la majorité de ces contenus est de piètre qualité, comment arriver tout de même à se distinguer parmi les quelque 500 jeux lancés quotidiennement dans l’App Store, ou le nombre sans cesse croissant de jeux lancés sur Steam? En cette ère où le nombre de jeux est pratiquement illimité, la découvrabilité devient un véritable défi. 

Si vous n’accordez pas d’importance à la découvrabilité, aussi bien dire que vous n’avez aucune chance. Comme l’a dit Chris Charla, directeur de Microsoft ID@Xbox: «En ce monde où la découvrabilité peut s’avérer plus difficile à solutionner que la recherche d’investissements, il est très important de se démarquer de la masse.»

Crier haut et fort ne suffit plus

Auparavant, les développeurs de jeux étaient réputés pour ignorer la mise en marché. S’ils étaient certes passionnés et créatifs, la plupart d’entre eux n’avaient aucune formation en affaires ou en marketing. Plusieurs se concentraient sur leur spécialité: concevoir des jeux. Puis, ils les balançaient dans le marché, priaient les dieux de Steam et se souhaitaient un succès. Parfois, la chance leur souriait. La plupart du temps, ils échouaient.  

Au cours des dernières années, la plupart des développeurs ont fini par comprendre les impératifs que sont le marketing, le développement de communautés et l’injection de ressources suffisantes pour commercialiser leurs jeux. On constate ce changement d’attitude dans la multiplication d’importantes activités promotionnelles (comme avoir un kiosque au congrès de jeux vidéo PAX, publier fréquemment sur les médias sociaux, etc.) C’est la stratégie «Crier le plus fort possible pour faire connaître l’existence de son jeu».

La réalité? Vous ne pourrez jamais crier assez fort. La campagne promotionnelle de Grand Theft Auto, qui se chiffre dans les millions, fait plus de bruit que vous. Les bandes-annonces promotionnelles ahurissantes d’Assassin’s Creed font plus de bruit que vous. Le voyage en Grèce commandité par God of War pour reproduire des combats de gladiateurs fait plus de bruit que vous.

La découvrabilité intrinsèque

La meilleure façon de surmonter une telle cacophonie? L’éviter entièrement.

Considérons plutôt la conception d’un jeu comme partie intégrante de l’équation marketing et intégrons la découvrabilité directement dans celui-ci. De par leur nature axée sur des expériences purement numériques et interactives, les jeux se prêtent particulièrement bien à l’application de cette philosophie.

Ce faisant, les studios n’ont plus à consacrer des sommes colossales pour la promotion des jeux (c’est-à-dire crier fort). Ce sont plutôt les joueurs qui finissent par découvrir le jeu de façon naturelle, car celui-ci assure lui-même sa promotion. Autrement dit: le bouche-à-oreille et la communauté se chargent de faire connaître le jeu à votre place.

Cela dit, il est essentiel que la découvrabilité soit intégrée au processus de conception du jeu dès le début ― et non après coup. Au moment où un studio amorce un nouveau projet, il doit se demander d’emblée comment on découvrira son jeu. C’est à partir de ce point de départ qu’il pourra, idéalement, construire plusieurs avenues vers la découvrabilité.

Une taxonomie des techniques de découvrabilité

Si les studios souhaitent adhérer à une approche rigoureuse pour intégrer la découvrabilité dans la conception de leurs jeux, ils doivent établir des directives qui visent plus loin que simplement «créer quelque chose qui attire l’attention.»

Voici quatre approches générales favorisant la découvrabilité, accompagnées d’exemples spécifiques qui démontrent l’éventail de techniques à votre disposition.

L’approche basée sur les mèmes

Sans doute la catégorie la plus évidente, qui inclut tout ce qui permet à un jeu de devenir «viral». Des exemples:

  • Une accroche excentrique: Untitled Goose Game a généré une grande quantité de mèmes qui ont inondé les médias sociaux, et les retombées médiatiques se sont avérées inestimables pour le studio House House, créateur du jeu.
  • Une conception artistique remarquable: Gris, Sable et Ooblets se démarquent grâce à une superbe conception artistique qui séduit les joueurs ― et ceux-ci ne peuvent s’empêcher de montrer le tout à leurs amis.
  • Exportation de GIF et de reprises: Factorio génère des reprises à la fois incroyables et captivantes et qui comportent de nombreux indices, ce qui favorise le partage.
  • Association de genre: certains amateurs sont fidèles à un genre qu’ils affectionnent particulièrement. Si un jeu présente certains signifiants de genre, le résultat pourrait être comparable aux amateurs de Sim City qui ont convergé vers Cities: Skylines, ou aux joueurs de Harvest Moon qui ont fait l’éloge de Stardew Valley.

Zach Barth, créateur d’Opus Magnum et «anti-marketer» auto-proclamé, a éloquemment articulé la valeur de cette approche: «Notre stratégie de marketing était d’assurer que notre jeu génère une tonne de GIF que tous voudraient publier sur Twitter.»

Cela se produit parfois de façon accidentelle. Un élément visuel original peut capter l’attention des amateurs et, tout à coup, les médias sociaux sont envahis par une oie. Toutefois, les initiatives intentionnelles et réfléchies génèrent des résultats probants. Un exemple: Poly Bridge est doté d’un système de reprises intégré permettant aux joueurs de facilement enregistrer, exporter et partager des extraits du jeu. De son côté, Nimbatus a généré des GIF à ce point fascinants que plusieurs amateurs se sont rués vers la campagne de sociofinancement Kickstarter du jeu, ce qui est a triplé le montant visé par le studio.

Si l’on pousse la chose plus loin, les jeux peuvent intégrer des données dans des captures d’écran partagées sur les médias sociaux. C’était notamment le cas de MidBoss, où les données de la partie d’un joueur étaient encodées dans une «Death Card» partageable. Celle-ci pouvait alors être publiée automatiquement sur Twitter, puis téléchargée par de nouveaux joueurs. Ceux-ci rejouaient à partir d’un même point d’origine et pouvaient récupérer le butin perdu précédemment.

La «partageabilité» intrinsèque

Une version plus intentionnelle de la découvrabilité axée sur le partage découle d’éléments intrinsèques au jeu. Des exemples:

  • Lancer des défis: Forza Horizon permet aux joueurs de se lancer et d’accepter des défis afin de battre le score de leurs amis.
  • Solliciter de l’aide: Candy Crush Saga comporte un mécanisme permettant de demander l’aide d’amis via les réseaux sociaux ― utile lorsque le temps alloué pour une partie est écoulé.
  • Récompenser les recommandations: World of Warcraft et EVE Online récompensent les joueurs qui invitent avec succès un ami à s’inscrire.
  • Renforcement par les pairs: à Stronghold Kingdoms, les troupes d’un joueur ne peuvent compter plus de 300 unités; toutefois, le jeu permet d’en obtenir 200 de plus de la part d’un ami lors d’une partie.

Dans de tels cas, les parties requièrent ― ou sont optimisées pour ― des échanges avec d’autres joueurs (et ce, même s’il s’agit d’un jeu solo). Parfois, il est tout simplement impossible de jouer sans amener vos amis à participer.

Dans le jeu mobile Puzzle & Dragons, les joueurs doivent sélectionner auprès d’un autre joueur un monstre qui les aideront à entrer dans un donjon. Le joueur dont le monstre a été sollicité obtient, pour sa part, des points qui lui permettront d’acquérir de nouveaux monstres. Plus une personne joue, meilleures sont ses chances d’être perçue comme quelqu’un qui aide les autres joueurs ― ce qui lui permet d’accumuler encore plus de points et de progresser plus rapidement.

Capacité d’être vu

Les plateformes vidéo telles que Twitch sont en train de conquérir l’univers du jeu. Conséquemment, les créateurs de vidéos et influenceurs actifs sur ces plateformes font de plus en plus partie intégrante du processus de découvrabilité. Ainsi, les développeurs futés optimisent leurs jeux pour la vidéo, de même que leur intégration aux diverses plateformes. Des exemples:

  • Bonus et aide des spectateurs: les spectateurs de parties de Rage 2 peuvent ranimer leur joueurs favoris par l’entremise de Twitch.
  • Intégration de jeux: Jackbox Party Pack, Streamline, Darwin Project et Choice Chamber ont tous été conçus pour favoriser les interactions entre les joueurs et leurs publics sur les plateformes vidéo.
  • Joueurs experts: Rocket League et My Friend Pedro permettent aux joueurs hautement qualifiés de se mettre en valeur, attirant ainsi nombre d’amateurs cherchant à améliorer leur façon de jouer.
  • Diffusion optimisée: Beat Saber a développé des outils dédiés afin d’assurer l’efficacité du streaming de contenus de réalité virtuelle, ce qui a considérablement augmenté sa visibilité sur Twitch et YouTube ― générant ainsi un volume de ventes sans précédent pour un jeu en RV.

L’idée ici est entre autres de créer une expérience unique que les joueurs actifs sur Twitch voudront non seulement vivre avec leurs fans, mais qui s’améliore grâce à la participation de ces derniers. Dans certains cas, dont avec le jeu de karaoké Twitch Sings, on ne peut jouer ― et le jeu n’a du sens ― qu’avec Twitch, alors que les amis et le public du joueur observent et votent.

En ce qui a trait aux jeux et e-sports hautement compétitifs, leurs joueurs se rendent souvent en ligne afin d’observer les «pros» à l’œuvre et d’acquérir de nouvelles habiletés. Aussi, de façon plus générale, la simple occasion de développer un jeu ayant le potentiel de devenir le prochain grand e-sport s’avère suffisamment attrayante pour chercher à relever le défi de la découvrabilité.

Sociabilité

Cette catégorie mise sur la loi de Metcalfe, en ce sens que la valeur du jeu ― et son potentiel d’être découvert ― augmente exponentiellement avec le nombre de joueurs. Des exemples:

  • Statut social: Fortnite, PlayerUnknown’s Battlegrounds, League of Legends et d’autres jeux compétitifs du genre possèdent tous des tableaux de classement, en plus d’assurer un suivi des victoires et d’afficher votre position.
  • Favoriser les conversations: Dark Souls comporte des légendes mystérieuses et secrètes qui incitent les joueurs à se réunir pour en discuter.
  • Wikification: les stratégies et le développement de plateformes de Hearthstone sont à ce point complexes et nombreux que les amateurs conçoivent des sites wiki et d’autres ressources encyclopédiques afin de s’entraider.
  • Échelonnage des défis: World of Warcraft comporte des raids spécifiques qui requièrent des guildes afin de coordonner des attaques en groupe pour vaincre l’ennemi.

De façon plus générale, cette catégorie met en relief la valeur générée par le développement d’une communauté qui gravite autour de votre jeu, et à qui on accorde des incitatifs spécifiques afin de les inciter à participer. Le jeu de rôle Outward a misé spécifiquement sur cette approche en évitant délibérément de fournir un système de navigation à même le jeu, des instructions quant aux interactions des éléments magiques, et même les recettes pour préparer des repas essentiels à la survie. Les joueurs devaient concevoir des wikis élaborés, pour finalement explorer le jeu en streaming et, ainsi, pouvoir en discuter et partager des conseils.

La série télé Lost s’avère un excellent exemple, quoique non lié au domaine du jeu, de la façon dont un mystère peut générer des conversations. Après la diffusion d’un épisode, les amateurs prenaient en effet plaisir à discuter et partager leurs théories sur la mystérieuse écoutille ou le monstre de fumée noire. Non seulement cet intérêt marqué de la part de l’auditoire contribue-t-il à résoudre des énigmes, mais cet auditoire finit par attirer un auditoire encore plus vaste.

L’espoir n’est pas une stratégie marketing

Certes, à la base, créer un excellent jeu demeure essentiel. Aucune technique de découvrabilité n’aidera à mousser les ventes d’un jeu ennuyeux. En même temps, vous devez songer à une façon de concevoir votre jeu qui augmentera ses chances d’être découvert. Observez bien les jeux qui se démarquent, et tentez de déterminer pourquoi c’est le cas.  

Il y a de fortes chances que ce ne soit pas simplement attribuable à la chance.


Jason Della Rocca
Jason Della Rocca est un entrepreneur de l’industrie des jeux, un conseiller en matière de financement et un expert des grappes. En sa qualité de cofondateur d’Executions Labs, il a investi précocement dans plus d’une vingtaine de studios de jeux indépendants en Amérique du Nord et en Europe. De 2000 à 2009, il a agi à titre de directeur général de l’International Game Developers Association (IGDA). Jason est un expert de l’industrie des jeux qui est très en demande, et il a été conférencier à des congrès et des universités partout dans le monde.
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