En Inde, l’accès au cinéma passe par la blockchain

Dans la dernière année, un nouveau modèle de VOD a vu le jour. Il s’agit de la BVOD, soit la rencontre entre la chaîne de blocs (blockchain, en anglais) et la vidéo sur demande. Avec la technologie de la chaîne de blocs, la BVOD vient déconstruire le modèle courant de la télévision par contournement.

Les plateformes comme Netflix et Amazon Prime Video sont habituellement les seules à connaître tous les paramètres des transactions qui s’effectuent sur leur site, des statistiques d’abonnement au choix du contenu jusqu’aux données de visionnement.

Le mois dernier, MyNK, une autre plateforme du genre, celle-ci basée sur la technologie de la blockchain, a été lancée en Inde. L’initiative est une première pour le deuxième pays le plus peuplé au monde. Elle vise d’abord et avant tout à rendre le cinéma indépendant plus accessible aux auditoires du pays.

La blockchain, c'est quoi encore?

La blockchain est simplement un moyen de stocker et transmettre des données par le biais d’un réseau décentralisé. Ce dernier assure la validité des transactions sans passer par une seule et unique autorité. L’adhésion des participants à des principes communs et le consensus quant au mode de gouvernance sont deux des principes-clés de la technologie.

Pour tout savoir sur les répercussions potentielles de la blockchain sur nos industries, nous vous invitons à consulter notre étude intitulée La chaîne de blocs et l’industrie canadienne des médias, publiée récemment en collaboration avec Téléfilm Canada. Vous pouvez également écouter notre balado Futur et médias et jeter un coup d'œil à nos articles pour demeurer au fait de cette tendance et ses potentiels bouleversements.

Qu'est-ce que la BVOD?

La BVOD est un nouveau terme légal pour la distribution de contenu. La grande différence avec un modèle par abonnement, par exemple, est que chaque partie peut vérifier les transactions directement sans passer par un intermédiaire, qui aurait un droit de regard sur la gestion des données.

Ce que cherche à faire la BVOD, c’est décloisonner le flot de l’information et des données, et de rapprocher les créateurs des consommateurs en retirant l’intermédiaire qui contrôle le contenu et tout ce qui s’y rattache. Dans le cas de MyNK, c’est l’accès à un cinéma indépendant de qualité qui fait défaut en Inde et qui motive ses créateurs, Nitin Narkhede et Deepak Jayaram.

Au départ, la plateforme sera lancée avec un catalogue de plus de 200 titres en 23 langues provenant de 34 pays, dont le Canada (par le biais de l’ONF). L’intérêt de la plateforme réside dans l’accessibilité à des titres qui n’ont pour la plupart pas obtenu de diffusion en Inde, mais aussi dans l’implantation de cette nouvelle forme de vidéo sur demande dans cette région du monde.

L'accès au cinéma en Inde

L’idée de la plateforme répond entre autres à des défis de distribution en Inde. Dans une entrevue accordée en début d’année, M. Narkhede a cité en exemple le film Village Rockstars de Rima Das, le choix de l’Inde dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère aux Oscars en 2018. Malgré sa tournée dans plus de 70 festivals et ses plus de 40 récompenses locales et internationales, le long-métrage n’a pourtant connu qu’une sortie en salles très limitée.

M. Narkhede a ajouté que c’est le cas de plusieurs films indiens qui connaissent du succès à l’international, mais qui peinent à se frayer un chemin jusqu’aux auditoires du pays. Il souligne que l’Inde ne compte que 10 écrans par million d’habitants (en guise de comparaison, au Québec, on recensait en 2017 8,6 écrans par 100 000 habitants). Selon lui, quand les films ne sont pas accessibles, le risque de piratage augmente.

Voilà l’un des défis que souhaite relever la plateforme MyNK, qui prendra la forme d’une application mobile (elle est actuellement dans sa phase bêta). On vise un public qui consomme du contenu sur téléphone intelligent, phénomène en pleine croissance en Inde. En effet, l’écran du cellulaire est le moyen que privilégie 88% de la population indienne pour le visionnement de vidéos en ligne.

La compétition féroce du marché de la VOD

La lutte pour le marché croissant de la vidéo sur demande est donc bien enclenchée. Or, pour le moment, ce ne sont pas les géants américains qui règnent en Inde. Les plateformes locales Hotstar (quoique maintenant propriété de Disney) et JioTV sont téléchargées en plus grand nombre sur les appareils mobiles du pays, et ce, même si Amazon Prime Video cherche à combler le vaste écart qui la maintient, pour le moment, dans une distante troisième position.

Compte tenu de sa population de plus de 1,3 milliard d’habitants, le marché indien attire beaucoup de compétiteurs, même s’il présente des défis uniques. Ceux qui constituent un avantage pour les services locaux incluent la diversité linguistique (450 langues, dont 23 officielles, sont parlées en Inde), la distribution dans les régions rurales et le coût de l’abonnement.

Prenons l’exemple de Netflix, qui peine à se tailler une place en Inde. La plateforme américaine développe une programmation principalement en hindi et en anglais. En revanche, le leader Hotstar diffuse en malayalam, en tamoul, en télougou et en kannada en plus de l’hindi et l’anglais.

Les tarifs d’abonnement aux services internationaux sont aussi beaucoup plus élevés que les plateformes locales. Ainsi, Netflix coûte environ 500 roupies par mois (soit environ 8$), alors que Hotstar ne facture que 199 roupies par mois (soit environ 3,25$) à ses abonnés. En contrepartie, les services étrangers donnent accès à une programmation internationale qui ne serait autrement pas disponible localement.

Et MyNK dans tout ça?

C’est un peu en réaction à toute cette concurrence que la plateforme souhaite offrir un produit différent. Grâce à un réseau pair-à-pair décentralisé, les producteurs de contenu auront la possibilité d’établir un contact direct avec les consommateurs. Or, dans un tel modèle, le rôle joué par l’auditoire est probablement celui qui a le plus grand impact sur la relation à la plateforme et au contenu.

En effet, le consommateur de contenu accumulera des crédits avec chaque critique ou recommandation de film qu’il soumettra. Celui-ci pourra même effectuer de la microdistribution de contenu auprès de son cercle d’amis. Il deviendra alors curateur en échange de crédits. Toutes les transactions seront visibles en tout temps, sur une interface à laquelle les distributeurs et ayants droit pourront avoir accès afin de suivre l’évolution du visionnement de leur contenu.

Cet aspect s’est avéré particulièrement attrayant pour l’ONF, qui fait partie des partenaires distributeurs de contenu avec all3media (Royaume-Uni), Kew Films (Royaume-Uni), Wide Management (France), Off the Fence (Pays-Bas) et plusieurs autres. Nathalie Bourdon, directrice, distribution et développement des marchés à l’ONF, avoue avoir trouvé l’approche très novatrice. «C’est un modèle d’affaires intéressant, dit-elle. Des communautés se créent autour des visionnements et les recommandations sont payées. C’est brillant quand on a une masse critique d’abonnés.»

Une première pour l'ONF

C’est la première fois que l’ONF participe à un projet qui implique la blockchain. Le phénomène, dont on entend beaucoup parler depuis quelque temps, intriguait Mme Bourdon, qui a eu envie d’en faire l’essai. Or, sa motivation première n’est pas les résultats financiers. Il s’agit plutôt de participer à un exercice concret pour comprendre et valider les vertus de la transparence et de l’efficacité que l’on associe à la chaîne de blocs.

Sur MyNK, l’ONF ne proposera au départ qu’une offrira dizaine de titres. Toutefois, Mme Bourdon précise qu’il s’agira des seuls documentaires. Elle a donc choisi des films à la fois accessibles et diversifiés tels que Gulistan, Land of Roses, Limit is the Sky, As the Crow Flies, Birth of a Family et Ladies and Gentlemen... Mr. Leonard Cohen. Nombre d’entre eux sont des films primés, comme certains longs-métrages de fiction qui ont été salués sur le circuit des festivals, notamment à Tribeca, Cannes, Toronto, Sundance et Berlin.

Si l’expérience s’avère concluante, l’ONF pourra non seulement accroître le nombre de titres, mais peut-être aussi reproduire ce type de collaboration avec d’autres plateformes déployées sur la blockchain. «Je suis responsable de la distribution, mais aussi du développement, et je prends ce mot-là bien au sérieux», conclut Mme Bourdon.


Catherine Mathys
Catherine Mathys travaille dans le milieu de la production audiovisuelle et des médias depuis près de 20 ans. Chroniqueure, reporter et animatrice, elle s’est spécialisée dans la dernière décennie dans l’analyse des transformations technologiques et médiatiques. Titulaire d’un baccalauréat en sociologie et d'une maîtrise en communication, elle apprécie tout particulièrement observer notre rapport à la technologie et son impact sur notre quotidien.
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