Entre futurisme et scepticisme: quel avenir pour la 5G?

Au premier rang des promesses technologiques les plus fréquemment citées dans les médias, l’avènement prochain des réseaux sans fil 5G n’est pas sans rappeler l’enthousiasme entourant la réalité virtuelle, les vêtements intelligents (wearables) ou les chatbots ces dernières années. Le Consumer Electronics Show, qui présente à chaque année le présent et l’avenir de la technologie, a même proclamé la 5G ‘buzzword de l’année’ en 2019.

La narration spéculative entourant la mise en place de cette nouvelle génération de réseau frise parfois la science-fiction. Dans le domaine particulier des médias, dont la transition vers des canaux de distribution numérique est en voie d’être complétée, les innombrables promesses de la 5G pourraient transformer assez radicalement le panorama concurrentiel à l’échelle mondiale, de la structure des marchés, aux entreprises de télécommunications, aux acteurs technologiques, sans oublier les producteurs de contenus.

Quel impact pour les médias?

Dans un article récent publié dans la Revue des Médias de l’INA, le chroniqueur Jean-Paul Simon identifie un certain nombre d’usages potentiels pour le domaine spécifique des médias.

Outre le temps de téléchargement beaucoup plus rapide que sur le réseau 4G – la 5G prévoit des vitesses de l’ordre de 10 à 100 fois plus rapides – les principaux scénarios d’usages identifiés par Simon tirent parti du temps de latence plus court que permet la 5G. Le temps de latence est le délai qui s’écoule entre une action et le déclenchement d’une réaction, ce qui, dans un contexte d’interactivité, est clé dans la perception de simultanéité, et donc dans la qualité de l’expérience.

Que l’on pense à des expériences de réalité immersives basées sur la réalité virtuelle ou la réalité augmentée, ou encore à des jeux vidéo qui pourraient être joués en streaming sans console (c’est d’ailleurs la promesse que porte l’initiative Stadia, de Google), même la production, la création et l’édition pourront se faire en temps réel, sur des terminaux distants par exemple.

La 5G va même jusqu’à remettre en question les dispositifs et accessoires aujourd’hui nécessaires pour la distribution et la consommation de contenus numériques. La 5G fait disparaître la nécessité de nombreux instruments intermédiaires tels le modem, la boîte connectée comme l’Apple TV, ou même la console de jeu domestique.

Il permet d’activer ou de désactiver rapidement un accès, sans avoir recours à des techniciens résidentiels – celui qui passera chez vous demain entre 8h et 20h.

Cette technologie risque donc de perturber l’ensemble de la chaîne de valeur, incluant bien entendu les entreprises de télécommunication qui sont aujourd’hui des joueurs clés de l’industrie médiatique, souvent à plusieurs titres.

L’éternel piège du techno-optimisme

Tout ceci, bien que prometteur et emballant, n’est pourtant pas pour demain. Selon les différents scénarios envisagés, l’adoption de la 5G dans le monde pourrait osciller entre 14 et 49% d’ici 2025, soit dans six ans. Dans le monde de la grande entreprise, un tel délai est raisonnable, voire court. Mais au rythme où se succèdent les évolutions technologiques, cela peut sembler particulièrement long.

Bien qu’il importe de suivre la cadence de la transformation technologique, le passage vers des modèles de distribution et d’interaction profitant des capacités accélérées de la 5G n’a pas nécessairement à être anticipé demain matin.

Le chercheur canadien Duncan Stewart, auteur du rapport annuel TMT (Technologies, médias et télécommunications), précise quant à lui que la pénétration d’appareils mobiles prêts pour la 5G ne devrait pas excéder 1% des ventes totales à la fin 2020.

Dans sa célèbre courbe annualisée ou «Cycle du Hype», la firme de recherche Gartner situe quant à elle la 5G en plein sur le «pic des attentes exagérées», ce qui signifie que nous n’avons pas fini d’en entendre parler… beaucoup. Selon ces deux références pourtant, nous sommes encore à plusieurs années de développement potentiel avant d’observer une véritable contribution productive à l’économie réelle des médias.

La distribution attendue de cette technologie sera également un phénomène essentiellement urbain. Afin de fonctionner efficacement, la distribution de la 5G requerra l’installation de plusieurs millions d’antennes distribuées au sein des villes, ce qui risque notamment d’occasionner des conflits entre concurrents, voire même certains enjeux liés à l’appropriation d’infrastructures publiques pour l’établissement de réseaux privés. Pour les villes de moindre taille et les utilisateurs dans les régions rurales ou semi-rurales, la 5G risque de demeurer un rêve inaccessible pendant encore une décennie, voire davantage. À l’ère où 50% de la population mondiale est réputée urbaine, cela signifie néanmoins que «l’autre 50%» se trouvera orpheline de connectivité 5G.

Dans cette veine d’ailleurs, la Electronic Frontier Foundation met en garde les dirigeants politiques, à l’effet que les investissements massifs requis par cette technologie, couplé à la nécessité de coordonner des contrats complexes avec les autorités publiques pour pouvoir déployer ces millions de bornes, occasionnera fort certainement une diminution de la concurrence et l’accentuation de la progression oligopolistique des entreprises de télécommunication.

L’acquisition récente de la division 5G d’Intel par Apple, pour la somme d’un milliard de dollars US, témoigne de cette transition anticipée vers une nouvelle concentration des pouvoirs.

Le Canada, qui compte parmi les pays où l’accès à Internet est le plus cher au monde, devra se pencher sur cette éventualité.

La situation canadienne

Au Canada, la mise aux enchères d’un premier spectre dans le cadre du déploiement de la 5G a permis au gouvernement canadien de récolter 3,5 milliards de dollars. Une deuxième enchère aura lieu en 2020 et pourrait rapporter encore plus, selon le Financial Post.

Bien que plusieurs sont d’avis que le Canada traîne de la patte dans le déploiement de cette technologie de pointe, tous s’entendent pour prédire l’un des taux d’adoption parmi les plus forts au monde à l’horizon 2025.

Les entreprises canadiennes du domaine des médias ont l’opportunité de saisir ces changements en anticipant de nouveaux types de contenus, de nouveaux types de supports, et de nouveaux modèles d’affaires bénéficiant d’un débit accru et de possibilités d’interactivité décuplées. Un travail sérieux s’impose toutefois, afin de différencier la réalité économique probable des fictions technologiques.


Francis Gosselin
Francis est docteur en économie et entrepreneur en série. Consultant et aviseur auprès de dirigeants et de conseils d’administration, il est également président de Norbert Hill et président du conseil de FailCamp, une OBNL dédiée à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’apprentissage. Il a travaillé comme consultant dans le domaine de l’éducation, des médias, de l’immobilier et des services financiers pour des clients comme Ubisoft, l’École Supérieure de Gestion—UQAM, Radio-Canada, Lune Rouge, BNP Paribas, Allied Properties et l’Institut de Développement Urbain. Croyant fermement aux vertus de l’engagement social et philanthropique, il siège sur le Conseil d’administration du festival MUTEK, et est membre du Club des 100 jeunes philanthropes d’HEC Montréal. Il élève depuis 2012 des chiens MIRA destinés à des personnes dans le besoin, en plus de contribuer financièrement à cette cause importante.
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