Et c’est ainsi que des blogueurs sont devenus les alliés de marques

orey Vidal, fondateur du Buffer Festival, fait part de ses réflexions sur les marques canadiennes qui s’associent à des youtubeurs.

En 2007, une jeune femme se voit refuser un emploi au comptoir des cosmétiques d’un grand magasin de sa région. Elle s’installe donc devant son ordinateur et se met à animer des vidéos didactiques sur le maquillage et les soins de la peau. Cette jeune femme est Michelle Phan, qui possède maintenant sa propre collection de produits de beautéson service d’abonnement ainsi que son réseau de contenu Web, et dont la chaîne YouTube compte maintenant plus de un milliard de visionnements.

Auparavant, Internet, c’était des chiens faisant de la planche à roulettes, puis les jeunes qui faisaient des choses étranges sur la banquette arrière de leur voiture et se filmaient avec le cellulaire de leurs parents.

Maintenant, ce sont les vedettes de YouTube qui gardent la machine Internet bien huilée. Le tout déconcerte bien souvent tous ceux qui ont plus de 25 ans, mais attire une génération pour laquelle le « contenu sur demande » signifie « immédiatement » et l’ineffable qualité, souvent associée à l’« authenticité », coupe l’herbe sous le pied des produits méticuleusement créés du monde de la télédiffusion.

Résultat, YouTube, autrefois l’entrepôt de l’étrange, représente désormais une façon efficace pour les spécialistes du marketing de communiquer avec les auditoires. Et cela ne se produit pas par la diffusion de publicités classiques mettant en vedette des porte-parole célèbres, mais par la conception de contenu original par des étoiles de YouTube (souvent appelés des « youtubeurs »), ensuite « créativement » intercepté par des marques.

Ces dernières entrent en scène par des commandites ou des partenariats actifs, ou en achetant simplement des publicités qui apparaîtront à côté du contenu, qui ne ressemble en rien à l’offre télé habituelle : vidéos d’opinion décontractées ou humoristiques, listes de faits fascinants, démonstrations ou critiques de produits, et même, résultats de séances de magasinage, le tout filmé dans la cuisine, la chambre ou la salle de bain.

Les médias sont maintenant de poste à poste — ainsi, nous assistons à des phénomènes. Par exemple, le géant des biens de consommation Unilever possède la chaîne YouTube sur les soins capillaires la plus regardée, mais ne crée en réalité aucune vidéo lui-même. En outre, 97 % du contenu sur la beauté regardé sur YouTube n’est pas créé par les grandes marques de cosmétiques, mais par des milliers de blogueurs partout dans le monde. Plutôt que de tenter de réinventer la roue, les spécialistes du marketing, astucieux, ont compris qu’il était préférable d’influencer plutôt que de faire de la publicité, autant pour eux que pour les consommateurs.

Pour examiner cette nouvelle industrialisation de YouTube, entrevue avec le youtubeur torontois Corey Vidal, fondateur de la société de production audiovisuelle Web Apprentice A et organisateur du Buffer Festival, un événement de trois jours destiné aux amateurs et à l’industrie qui a lieu chaque année à Toronto pour célébrer les vedettes et les nouveaux venus de YouTube.

Leora Kornfeld : Selon vos observations, de quelle façon la relation entre l’univers des youtubeurs et celui des marques a-t-elle évolué au cours des dernières années ?

Corey Vidal : La relation a évolué d’une façon très saine, puisque de plus en plus de marques travaillent avec des créateurs, et de plus en plus de marques créent elles-mêmes du contenu. L’économie et les médias traditionnels sont en transition, les budgets autrefois destinés à la télévision et à la presse écrite étant de plus en plus consacrés au numérique. Tout a commencé avec les marques et les publicités Google, mais, avec un budget accru, les marques sont non seulement en mesure de créer du contenu en collaboration avec des youtubeurs, mais également de créer des publicités que les auditoires souhaitent voir. Par exemple, les publicités TrueView de Google permettent réellement d’intéresser les auditoires. On ne peut demander mieux : les utilisateurs écoutent votre pub parce qu’ils le souhaitent, et non parce qu’ils y sont obligés.

LK : Selon votre expérience, dans quelle mesure les marques sont-elles disposées à laisser les créateurs continuer à faire ce qu’ils font... et qui a réussi à attirer un tel auditoire ?

CV : Bonne question. Tout dépend de la marque. Au Canada, nous sommes chanceux d’avoir des marques et des commanditaires merveilleux qui ont compris. Ils ont saisi la façon de travailler avec des youtubeurs afin d’attirer des auditoires ciblés, tout en permettant à ceux-ci de créer le contenu. De plus en plus de marques montent chaque année dans le train.

LK : Y a-t-il des luttes pour l’obtention de la mainmise sur la création ? Observez-vous une pression accrue de la part des youtubeurs ? Puisque ce sont eux qui conçoivent le matériel et constituent une base d’amateurs, on pourrait faire valoir que ce sont eux, et non la marque, qui savent ce que leurs auditoires veulent.

CV : Absolument. Je crois que les youtubeurs savent mieux que quiconque ce que veulent leurs auditoires. Les marques ont différentes façons de participer au contenu, qu’il s’agisse de placement de produits ou d’intercalaires de type « cette émission vous est présentée par... ». Par contre, en ce qui concerne la création de contenu comme telle, je crois qu’il est important de faire confiance au créateur et de chercher à établir une situation favorable pour tous, où la marque est efficacement représentée, d’une façon qui correspond au youtubeur et à son auditoire.

Ainsi, l’amateur aimera lui aussi la vidéo. Peu importe le nombre de visionnements, ce sont les participations positives — les mentions « J’aime », les commentaires, les partages — qui m’intéressent, en plus des visionnements. C’est une nouvelle façon de penser pour les marques. Ce n’est pas le nombre de personnes ayant vu la vidéo, mais le nombre de personnes qui s’y engagent. Pour ce faire, il est impératif de collaborer avec le créateur et de le laisser faire ce qu’il fait de mieux.

LK : Dans le monde de la radiodiffusion, il y a une plus grande distance entre les amateurs et les artistes que dans YouTube, où cette distance semble presque disparue. Quelles sont les difficultés particulières lorsque l’on travaille dans un lieu où la relation avec l’adepte ou le consommateur est directe ?

CV : Internet permet aux auditoires de devenir aussi intimes que nous le souhaitons. Il y a d’énormes avantages à se faire connaître personnellement par ses admirateurs. La particularité, c’est qu’il n’est pas nécessaire de passer par des gérants ou des spécialistes des relations publiques; c’est simple comme un gazouillis ou une vidéo à partager avec tout le monde.

Ce n’est pas juste de dire que ça devrait être ainsi pour toutes les célébrités; certaines préfèrent garder une distance, mais la différence, c’est que maintenant, autant les talents que les auditoires ont le choix. Ils peuvent décider d’entrer en relation directe et de s’engager aussi intensément qu’ils le souhaitent. Il y a une génération, nous écoutions ce que les studios souhaitaient que nous écoutions, et il n’y avait pas de place pour les artistes indépendants.

LK : Le Canada semble avoir produit un nombre énorme de youtubeurs à succès, par exemple Epic Meal TimeMatthew SantoroNardwuarAsapSCIENCE et Lilly Singh alias Superwoman, qui figure dans la liste de Forbes des 10 youtubeurs qui gagnent le plus. Il est fréquent d’entendre que les Canadiens sont nettement désavantagés — d’abord, pour se faire remarquer au Canada, puis pour se faire remarquer à l’étranger. Cette situation a-t-elle changé ?

CV : Au Canada, l’écoute de YouTube par habitant est énorme, mais ce n’est que récemment que ça a explosé du côté des créateurs. Bon nombre de vedettes canadiennes avaient déménagé à Los Angeles, puisque les entreprises étaient plus en mesure de les soutenir là-bas. Ce n’est que très récemment que nos médias, nos sociétés et nos marques ont changé, et nous assisterons à la célébration des créateurs comme jamais.

Cette année est très importante pour YouTube au Canada. Il y a eu une hausse spectaculaire du nombre d’entreprises qui soutiennent des créateurs canadiens de YouTube. Kin Community, propriété de Corus, MUCH Digital StudiosCBC et Fullscreen ainsi que le Collective Digital Studiotravaillent tous avec YouTube et soutiennent le Buffer Festival dans une certaine mesure cette année. Il s’agit manifestement de l’année de la célébrité canadienne.


Leora Kornfeld
Jusqu’à présent, Leora Kornfeld a été vendeuse dans un magasin de disques, animatrice à la radio de la CBC, rédactrice de cas à la Harvard Business School, blogueuse et cruciverbiste chevronnée. Elle est actuellement consultante en médias et en technologies et travaille avec des clients américains et canadiens.
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