Les splinternets

Le Web se balkanise : un casse-tête pour la distribution numérique des contenus. Cet article est extrait du Rapport sur les tendances 2018.

De quoi s'agit-il?

Le terme splinternet désigne un sous-ensemble de l’écosystème numérique qui opère de manière plus ou moins indépendante du reste du web. Ce phénomène, également connu sous le nom de « cyberbalkanisation », n’est pas nouveau. On en parlait déjà il y a plus de vingt ans et il a fait l’objet d’importantes études, notamment de la part de l’université Harvard en 2007. Ainsi, malgré l’idéal d’un vaste réseau de communication intégré à l’échelle planétaire et librement accessible par toutes et tous, il existe en réalité des barrières ou « frontières » numériques qui limitent la circulation de l’information et des contenus dans le cyberespace.

Les raisons sont nombreuses, complexes et souvent interreliées : réglementations nationales et jurisprudence liées à la censure, la conduite des affaires ou la protection des renseignements personnels; pratiques commerciales et progrès technologiques favorisant le développement d’écosystèmes fermés; émergence organique de communautés d’internautes partageant une culture, une langue ou des intérêts communs; etc. Parmi les splinternets les mieux connus, on retrouve celui de la République populaire de Chine, étroitement contrôlé par le gouvernement et fermé à certaines plateformes comme Facebook et Netflix; ainsi que le programme Free Basics piloté par Facebook, qui offre un accès gratuit à un nombre restreint de services Internet dans les pays en voie de développement. Peut-être un peu moins connu est le RuNet, soit le réseau des ressources web et applicatives en langue russe. Bien qu’il ne résulte pas d’une action réglementaire particulière ou d’une initiative d’affaires concertée, le RuNet est devenu le principal point de convergence numérique des communautés russophones et il évolue de manière relativement autonome.

Bien qu’il ne date pas d’hier, le phénomène des splinternets a tendance aujourd’hui à s’accentuer, notamment sous l’impulsion des géants numériques américains (les « GAFAM » : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et chinois (les « BATX » : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Ces grands groupes, que plusieurs qualifient de véritables « États virtuels », multiplient les services, applications, fonctionnalités et offres de contenus en vue d’inciter leurs milliards d’utilisateurs à ne jamais sortir de leurs écosystèmes numériques respectifs.

En quoi est-ce important pour nos industries?

S’ajoutant au phénomène des bulles de filtres abordé dans nos Rapports sur les tendances précédents, la progression des splinternets vient une fois de plus complexifier les enjeux de mise en marché et de découvrabilité des contenus. Il faut non seulement comprendre comment les algorithmes d’une plateforme fonctionnent (soit comment capter ses utilisateurs), mais aussi connaître quelles sont les « frontières numériques » de cette plateforme (soit les consommateurs et consommatrices qu’elle rejoint et ceux et celles qui lui échappent).

Détails intéressants

Sur le plan technologique, le développement du phénomène des splinternets a été favorisé par le recul du principe d’interopérabilité, soit la capacité pour un système informatique de fonctionner avec d’autres produits ou systèmes informatiques. Actuellement, bon nombre d’appareils, d’applications et de systèmes d’exploitation (tels Android ou Mac OS) ne sont pas interopérables, contrairement aux technologies web de la première heure (fureteurs, sites web, protocole HTTP). Il s’agit là d’une problématique que les entreprises de contenus connaissent bien : pour distribuer un contenu dans les écosystèmes de Google ou d’Apple, par exemple, il faut développer une application spécifique à chacun.

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Des cas à suivre

Aux États-Unis, la Federal Communications Commission (FCC) s’est récemment prononcée en faveur du démantèlement de la réglementation liée à la neutralité du web (soit les principes garantissant l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet). Cette décision pourrait accélérer le phénomène des splinternets en permettant aux plateformes numériques et aux fournisseurs de services Internet de privilégier certains contenus au détriment des autres (ce que fait actuellement le service Free Basics de Facebook à l’extérieur des États-Unis). Les ramifications pour les entreprises canadiennes de contenus, pour lesquelles le marché américain demeure crucial, pourraient être significatives.


Industry & Market Trends | Veille stratégique
L’équipe de veille stratégique est composée de la directrice de la veille stratégique Catherine Mathys, des analystes Pierre Tanguay et Sabrina Dubé-Morneau, ainsi que de la coordonnatrice éditoriale Laurianne Désormiers. Ensemble, ils rédigent annuellement un rapport sur les tendances dans l’industrie de l’audiovisuel.
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