L’impact de la télé par contournement sur la production vidéo au Canada

Les fournisseurs de contenu de télé par contournement (TPC) contribuent à stimuler le marché mondial de la production vidéo et ont un effet bénéfique sur les dépenses en productions et acquisitions télévisuelles au Canada, selon des données recueillies par le Boston Consulting Group (BCG).

Les dernières années ont à plus d’une reprise été qualifiées de l’âge d’or de la télé. C’est un qualificatif que confirme le rapport de BCG intitulé The Future of Television: The Impact of OTT on Video Production Around the World (traduction : L’avenir de la télévision : l’impact de la TPC sur la production vidéo dans le monde). Le rapport cite un dirigeant canadien qui assure que « l’écosystème n’a jamais été plus favorable pour la production de contenu ».

Les services accessibles par abonnement comme Netflix et Amazon de même que les plateformes vidéo en ligne comme YouTube contribuent à la croissance de plusieurs marchés. En fait, selon les données recueillies par BCG, des marchés partout dans le monde « sont au moins en aussi bonne santé, et sont souvent en meilleure santé, qu’ils l’étaient il y a cinq ans – soit avant que les joueurs mondiaux et locaux de la TPC ne deviennent une force majeure. »

Au Canada, les dépenses en contenu accessible par TPC ont augmenté à un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 48 % entre 2011 et 2015. C’est près de dix fois le TCAC de la télé traditionnelle au cours de la même période.


Source: The Future of Television: The Impact of OTT on Video Production Around the World, BCG

Cette croissance soutenue des dépenses en contenu s’explique par le fait que, aujourd’hui, les possibilités d’exportation, surtout vers des marchés de langue anglaise, sont plus nombreuses. Le contenu produit en anglais est aisément exportable vers d’autres marchés, ce qui facilite la réalisation d’économies d’échelle. Citons le rapport :

[traduction] Les producteurs nationaux au Canada et au Royaume-Uni, par exemple, tirent profit de la tendance vers la mondialisation du contenu – une tendance accélérée par la TPC. En fait, la distribution à l’étranger s’est révélée un des principaux leviers de croissance au Canada et au Royaume-Uni et a permis à des créateurs de ces marchés intérieurs d’accroître la monétisation de leurs banques de contenu par la vente à l’étranger de contenus destinés aux première et deuxième fenêtres.

En fait, les données recueillies par BCG indiquent que l’augmentation du financement de la production télé au Canada entre 2011 et 2015 est principalement attribuable aux investissements initiaux de distributeurs internationaux.


Source: The Future of Television: The Impact of OTT on Video Production Around the World, BCG

Bien que cela ne signifie aucunement que les joueurs mondiaux de la TPC produisent un grand nombre de titres pour leurs marchés intérieurs respectifs – après tout, la part détenue par Netflix du marché intérieur canadien de contenu n’est que de 16 % –, ces joueurs demeurent néanmoins une importante source de croissance, car les titres ainsi acquis le sont habituellement à gros prix. C’est du contenu grand public destiné à une distribution internationale.

La valeur croissante du contenu de qualité

La vaste majorité des experts en production de contenu interviewés par BCG s’entendait pour affirmer que « la TPC avait habituellement un impact positif sur les revenus de production »; cependant, il importe de souligner que certains contenus tirent davantage profit de cette situation que d’autres.

Alors que l’on observe une demande croissante pour un contenu de qualité, produit par des professionnels, deux catégories enregistrent des résultats particulièrement positifs : les séries dramatiques et les émissions pour enfants. Il n’est donc pas surprenant que la Deutsche Bank, dans une note aux investisseurs, estime que ce sont les deux catégories pour lesquelles Netflix a produit le plus de contenu original.


Source: This chart shows which genres Netflix is pouring its resources into, Business Insider

Pourquoi autant d’importance est-elle accordée à la programmation pour enfants? Les raisons possibles sont multiples : se garantir un auditoire futur ou attirer des parents qui préfèrent exposer leurs enfants à un environnement exempt de publicité. Mais une autre raison pourrait être tout simplement que le contenu pour enfants est très exportable d’un pays à l’autre et d’une langue à l’autre. Cité dans le rapport de BCG, un producteur canadien de contenu pour enfants explique :

[traduction] J’allais prendre ma retraite il y a cinq ans, mais la TPC m’a ouvert la voie à tellement de nouvelles fenêtres de monétisation ici au Canada et à l’étranger. Par conséquent, aujourd’hui, je gagne plusieurs fois ce que je gagnais jadis à produire des contenus. La raison est simple : lorsque nous créons une pièce d’animation en anglais et la doublons en espagnol, les enfants espagnols y voient du contenu espagnol.

Alors que le contenu de première qualité se multiple, le marché du contenu de qualité moyenne est en train de s’effondrer. Cette observation est confirmée par la Deutsche Bank dans une nouvelle étude qui fait valoir la valeur croissante du « contenu qui tue » par rapport au contenu dit de remplissage. Comme l’explique la banque, [traduction] « Le risque d’être du mauvais bord, de produire du contenu de remplissage pour les horaires de télé et les forfaits de télévision par câble/satellite, est plus grand que jamais […]. Alors qu’il y a de moins en moins de nouvelles chaînes de télévision, il y a aussi une réduction du temps d’antenne disponible pour la nouvelle programmation. »

C’est peut-être de mauvais augure pour certains joueurs, mais Martin Kon, associé et directeur général de BCG à New York, un Canadien qui est actif dans le secteur des médias et des communications, soutient qu’il s’agit d’une véritable occasion à saisir pour les producteurs et créateurs canadiens, car ils ont la possibilité de tirer profit de la situation et à produire et exporter du contenu pertinent de grande qualité. Il s’explique : « En cet âge d’or de la télé, l’offre ne connaît aucune limite et les consommateurs ont accès à plus de choix. Il est donc plus important que jamais de produire du contenu de qualité. »

Martin Kon croit donc que la question pertinente n’est pas à savoir non pas comment exclure des joueurs de la TPC comme Netflix, mais plutôt comment s’y prendre pour exporter du contenu de première qualité.

Une force motrice derrière le contenu local: les créateurs amateurs

Enfin, il est impossible de réfléchir aux joueurs mondiaux de la TPC sans soulever la question de l’effet qu’ils ont sur la culture locale et la production de contenu destiné au marché intérieur. En tentant de répondre à cette question, les auteurs du rapport de BCG ont découvert un fait intéressant.

Dans ce que Martin Kon décrit comme un moment « ah-ha », ils ont trouvé que les créateurs de contenu qui se décrivent comme des amateurs-professionnels ou des amateurs représentent une force motrice derrière la production de contenu local. Cette conclusion ressort d’un sondage mené auprès de 600 milléniaux, dans 50 pays, ayant été interrogés sur leurs interactions avec le contenu.

Ces milléniaux âgés de 19 à 30 ans écoutent beaucoup plus de documentaires, d’émissions-débats et d’émissions culturelles produites localement par des amateurs comme des Youtubeurs que d’œuvres locales créées par des professionnels au sens traditionnel du terme.


Source: The Future of Television: The Impact of OTT on Video Production Around the World, BCG

En ce qui concerne l’impact potentiel de la programmation mondialisée de TPC sur la culture locale, pour citer le rapport, « on ne peut pas faire fi de la production combinée d’un milliard de créateurs de contenu – issus de toutes sortes de milieux, de sociétés et de cultures et ayant une multitude de points de vue. Cela aurait été inimaginable il y a 20 ans. »


Gaëlle Engelberts
Ancienne journaliste à la télévision de Radio-Canada, Gaëlle Engelberts est la coordinatrice éditoriale de FMC Veille. En parallèle avec son travail de recherche et d’édition au sein de l’équipe de veille stratégique du Fonds des médias du Canada, elle a récemment terminé une maîtrise en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) portant sur les nouvelles formes narratives en journalisme et en documentaire, notamment les webdocumentaires interactifs et les jeux sérieux.
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