Pat’Patrouille: Adopter une approche « portefeuille » à la production

« Vous ne pouvez jamais prévoir d’avance le prochain grand succès », avoue Ronnen Harary, le PDG de Spin Master, société mère d’une pléthore de franchises de jouets et de divertissements, dont Pat’Patrouille (PAW Patrol en anglais). Oui, même lorsque vous êtes la compagnie la mieux connue pour sa meute de chiens de recherche et de sauvetage – créés par effets numériques spéciaux – bien aimés partout dans le monde, vous avez besoin d’un plan B.

Spin Master produit Pat’Patrouille depuis 2012 et, au cours de cette période, c’est devenu l’émission la plus populaire parmi les enfants d’âge préscolaire aux États-Unis. L’émission est diffusée dans 160 pays et c’est la franchise qui génère une bonne partie des revenus annuels de Spin Master, lesquels se chiffrent à plus d’un milliard de dollars.

Spin Master se qualifie de « société de divertissement pour enfants multiplateforme ». À bien des égards, l’émission de télévision – et, plus récemment, son film dérivé intitulé Mighty Pups – peut être considérée comme une publicité mettant en vedette les jouets. De nouveaux gadgets et costumes sont présentés en continu, suscitant un flux pratiquement ininterrompu de cris « J’en veux un! » de la part d’enfants partout dans le monde qui ne veulent pas vivre un jour de plus sans sac à dos à propulsion par réaction, lunettes de vision nocturne ou drone à télécommande que les chiens utilisent pour résoudre des énigmes et lutter contre le crime à l’intérieur et au-delà des limites de leur patelin d’Adventure Bay.

Et, comme c’est habituellement le cas dans le monde du divertissement, rien ne laissait présager l’immense succès remporté par Pat’Patrouille. « Personne ne s’attendait à ce que l’émission suscite un tel intérêt », a avoué Harary, dans le cadre d’une conférence qui avait lieu récemment à Toronto. C’est une bonne chose que l’émission ait connu un tel succès, car, après une série de 16 années de croissance ininterrompue, la compagnie a frappé un mur. « Notre croissance avait été trop rapide, a-t-il ajouté. Nous n’étions pas assez diversifiés et nous commencions à voir apparaître des chiffres entre parenthèses à notre bilan », faisant référence à la convention comptable qui consiste à placer les pertes entre parenthèses dans les bilans financiers.

Restructuration générale

Après quelques rondes de restructuration générale et de serrage de ceinture, Harary et ses partenaires ont pris la décision de procéder à une diversification stratégique de leur portefeuille. « Nous avons opté pour la variété dans notre quête de revenus récurrents », a expliqué Harary. Par la suite, Spin Master s’est lancée dans une série d’acquisitions: achat de Meccano (la compagnie de jouets à pièces encliquetées) en 2013, d’Etch A Sketch en 2016 et du fabricant de peluches Gund au printemps 2018. En cours de route, Spin Master a également acheté une compagnie de casse-tête en affaire depuis 60 ans ainsi qu’un fabricant italien de jeux de société.

Peu importe dans quelle direction les vents souffleraient désormais dans le monde imprévisible du divertissement pour enfants, Spin Master était protégée. Et cette stratégie de portefeuille a certainement porté fruit. En 2018, Spin Master figure parmi les plus grandes compagnies de jouets sur la planète, dans la même ligue que les Lego, Hasbro et Mattel de ce monde. En plus de l’impressionnante franchise Pat’Patrouille, une des clés de son succès est sa présence dans le segment des jouets bon marché, lequel est occupé par des figurines d’action, des casse-tête et de petites peluches. Comme rapporté par Bloomberg News plus tôt cette année, « La croissance des ventes dans la catégorie de jouets vendus 10$ et moins est supérieure à celle enregistrée par le marché des jouets dans son ensemble, grâce notamment à l’engouement alimenté par les médias sociaux pour, par exemple, une gamme d’objets miniatures à collectionner inspirés des Hatchimals, ces petites peluches qui “éclosent” d’œufs en plastique. » En effet, Hatchimals est une autre marque qui est la propriété de Spin Master.

L’importance de la « Spinnovation »

Le slogan sur le mur dans les bureaux de Spin Master se lit « Spinnovation », un mot inventé de toutes pièces à partir du nom de la compagnie combiné à un rappel de l’importance d’innover. Bien que cela puisse sonner un peu cliché, Harary soutient que l’une des valeurs fondamentales de la compagnie est l’ouverture à de nouvelles idées, peu importe leur provenance, qu’elle soit interne (des employés eux-mêmes) ou de l’extérieur de la compagnie. Et Spin Master a constitué une bonne partie de sa richesse à partir d’idées provenant d’ailleurs, puis peaufinées par la compagnie pour plaire à des marchés mondiaux. Son premier produit, en 1994, fut l’Earth Buddy, une créature inspirée des « Chia Pet » dont les cheveux en gazon poussaient lorsqu’on les arrosait. Harary en avait reçu un de sa grand-mère au retour d’une visite en Israël. Le jouet à tête de nylon connu sous le nom de Grass Head s’y étant déjà écoulé à un million d’unités, elle s’était alors dit qu’il existait peut-être une occasion encore plus lucrative à saisir dans le marché canadien – considérablement plus grand que celui d’Israël.

Et c’est ainsi qu’Harary s’est lancé en affaire avec ses amis Anton Rabie et Ben Varadi de l’Université de Western Ontario. « Mon beau-frère s’occupait de l’ingénierie et ma sœur, de la fabrication. Nous en avons fabriqué 5 000 à temps pour la fête des Mères et en avons vendu dans les rues de Toronto. Le problème, c’est qu’il nous en restait environ 4 500. » Alors qu’Harary envisageait l’option de céder les stocks non vendus à un liquidateur, il a réussi à conclure une entente avec K-Mart pour un demi-million d’unités. À la fin de cette année-là, un million d’unités d’Earth Buddy avaient été vendues.

Les partenariats pavant la voie pour Pat’Patrouille

Spin Master avait alors vraiment le vent dans les voiles et a tracé son chemin en partenariat avec des compagnies et des inventeurs des quatre coins du globe, portant une attention particulière au marché japonais, parfois qualifié de la « Silicon Valley de l’industrie du jouet ». Son premier projet télévisuel a été avec la série animée d’action-aventure Bakugan Battle Brawlers. Dans le cadre de ce projet, Spin Master a travaillé en partenariat avec Sega Toys, du Japon, puis a subséquemment négocié les droits de licence pour le marché américain. La franchise – reposant sur des cartes métalliques et billes aimantées à collectionner qui se transforment en figurines de combat – vise les enfants âgés de 5 à 9 ans. Harary a estimé la valeur de l’émission de télévision et de la gamme de jouets à environ 1 milliard de dollars. « Et si nous pouvions faire ça pour des enfants d’âge préscolaire? », s’est-il demandé.

Donc, aux alentours de 2011, il a lancé un appel d’idées et l’une des personnes ayant répondu à l’appel a été Keith Chapman, le créateur de Bob le bricoleur. C’est Chapman qui a eu l’idée d’une meute de chiens participant à des missions de sauvetage. Ensuite, Spin Master a réuni une équipe – formée presque exclusivement de talents canadiens – d’animateurs, de scénaristes, de producteurs, de réalisateurs et d’acteurs vocaux. L’émission a été initialement diffusée sur les ondes de TVO en Ontario et par Nickelodeon aux États-Unis. Grâce à une entente subséquente conclue avec Netflix ainsi qu’à une chaîne YouTube officielle PAW Patrol, des enfants partout dans le monde ont pu découvrir l’émission.

Et ce ne sont pas juste les enfants qui ont adoré… Leurs parents tout autant. Les gens avaient tendance à réagir émotionnellement aux différentes personnalités des chiots Pat’Patrouille. Harary soutient que le rythme de l’émission a aussi contribué à ce qu’elle se démarque. « C’est différent des autres émissions pour enfants d’âge préscolaire. Le rythme est plus rapide et l’émission évite de faire la morale aux enfants. »

Forts de ce succès, Harary et ses partenaires au sein de Spin Master, tous bien familiarisés avec les tenants et aboutissants des contrats de licence internationaux pour jouets et articles connexes, ont ensuite mis en marche la machine de marchandisage Pat’Patrouille. Harary fait valoir que la vente de produits sous licence représente 26 % de l’industrie du jouet. C’est une industrie de 20 milliards de dollars par année aux États-Unis et de 2 milliards de dollars par année au Canada. Sans surprise, une gamme étendue de marchandises Pat’Patrouille a fini par être proposée: pyjamas et draps de lit ainsi que piñatas et assiettes en papier pour fêtes d’anniversaire, etc. « De plus, nous avons développé nos propres émissions par nécessité, aussi, afin de saisir une part de ces 26 % du marché », a révélé Harary.

En réponse à la question de savoir si la compagnie perçoit la technologie – et la technologie portable en particulier – comme représentant une menace qui risque d’accaparer des parts du marché physique des jouets et des marchandises dérivées, il a rapidement dit ceci: « Cela n’est pas encore arrivé et je ne pense pas que ça arrive. Le physique dégage une puissance. La profondeur de la technologie réside en la façon dont nous l’utilisons à des fins de marketing auprès d’enfants. Ces derniers ne regardent pas la télévision. Ils regardent YouTube, ils regardent des vidéos d’influenceurs et des vidéos d'unboxing. C’est là où nous les atteignons désormais. »


Leora Kornfeld
Jusqu’à présent, Leora Kornfeld a été vendeuse dans un magasin de disques, animatrice à la radio de la CBC, rédactrice de cas à la Harvard Business School, blogueuse et cruciverbiste chevronnée. Elle est actuellement consultante en médias et en technologies et travaille avec des clients américains et canadiens.
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