Profitons de la Peak TV

Bien que certains affirment que la surabondance de contenu télévisuel nuit à la découvrabilité par l’auditoire, d’autres la considèrent simplement comme un signe des temps.

Par Pierre Ziemniak (MIP Blog)

À quel moment « beaucoup » devient-il « trop » ? Peak TV, qui est sur toutes les lèvres l’été dernier dans l’industrie de la télévision, reflète l’état actuel de cette plateforme, qui est en fait plutôt préoccupant. En effet, au cours de la tournée de presse de la Television Critics Association (TCA) au début du mois d’août, John Landgraf, chef de la direction de FX, a mentionné que l’énorme quantité de bonnes émissions scénarisées produites de nos jours « empêchait souvent les auditoires de trouver les excellentes ».

Le nombre d’émissions américaines originales produites par année ayant doublé depuis 2009, avons-nous véritablement atteint un « sommet télévisuel » ? En d’autres mots, la bulle nous éclatera-t-elle en plein visage au cours des prochaines années, voire des prochains mois, lorsque les investisseurs de la télévision s’apercevront que les auditoires n’arrivent plus à suivre ?

Peak TV est peut-être un signal d’alarme pour certains analystes, mais elle constitue un bonheur absolu pour la plupart des téléspectateurs. Dans un billet de blogue à lire absolument, le critique de télévision de HitFix Alan Sepinwall soutient que la présence de Peak TV aux États-Unis a entraîné une quantité incroyable de qualité, mais également de diversité, tant sur le plan des types d’émissions de qualité que des types de personnes dont les histoires sont racontées, faisant allusion à l’âge d’or actuel de la télévision, poussé par des émissions comme The Sopranos de HBO il y a 15 ans.

La fragmentation des cotes d’écoute constitue-t-elle la véritable menace dans ce cas-ci ? En fait, ce qui est une mauvaise nouvelle pour les annonceurs en est une bonne pour la créativité. Comme Sepinwall le fait remarquer, « la fragmentation de l’auditoire à l’origine de cette ruée vers l’or particulière a également permis le renouvellement d’émissions comme The AmericansRectify et UnREAL, qui auraient sûrement eu une diffusion beaucoup plus courte selon l’ancien modèle de télévision ».

Nous dirigeons-nous vers le déclin des cotes d’écoute ? Pas si vite selon 23 importants cadres de la télévision interrogés par The Hollywood Reporter. La majorité d’entre eux souhaiteraient que le système télévisuel dans son ensemble change : Chris McCumber de USA Network aimerait modifier la façon dont l’industrie mesure le succès de sa programmation; Keith Cox de TV Land souhaite ne pas tenir compte des cotes d’écoute du lendemain; et, enfin et surtout, Dana Walden de Fox — l’une des personnalités de l’année du MIPCOM — espère qu’il sera un jour possible de s’éloigner du « calendrier pilote ». Au bout du compte, ce sont les fondements mêmes du modèle d’affaires et de la mesure des cotes d’écoute de la télévision qui pourraient bien évoluer.

Tout cela sera-t-il suffisant pour s’adapter à la nouvelle ère ? La façon dont l’auditoire consomme du contenu est également en train de changer, ce qui fait de Peak TV un moment encore plus difficile pour les professionnels : la consommation sur demande s’impose lentement comme la nouvelle norme, ce qui est particulièrement évident dans la lutte opposant HBO à Netflix.

Dans son analyse approfondie des deux modèles d’affaires, REDEF écrit que le modèle de télédiffusion traditionnel et la VSDA sont au bord de la convergence — HBO ayant lancé son propre service de télévision par contournement, HBO Now —, ce qui rappelle les énormes changements dans la façon dont le public regarde la télévision. Les deux sociétés essaient maintenant d’élargir leurs auditoires respectifs : le récent partenariat de HBO avec Sesame Street « offre de nouvelles occasions de créer des zones bouclées pour que les enfants consomment du contenu de façon sécuritaire », selon The Harvard Business Review.

De son côté, Netflix ajoute un certain nombre de films et de séries de télévision exclusifs destinés aux adolescents « afin de se positionner comme un carrefour de divertissement numérique pour la génération des post-Y », selon le New York Times.

Le virage numérique est mondial et va bien au-delà des frontières traditionnelles du domaine télévisuel : Peak TV n’existerait pas sans tous les nouveaux acteurs qui sont apparus au cours des dernières années et qui cherchent autant du contenu frais que ceux qui les ont précédés.

BuzzFeed ? NBCUniversal vient juste d’annoncer un fonds d’investissement de 200 millions de dollars dans l’entreprise axée sur les médias technologiques, ce qui représente bien l’intérêt de plus en plus important des grands médias envers l’utilisation du contenu de médias numériques convivial cliquable pour faire croître l’auditoire de leurs émissions de télévision linéaires, selon VideoInk.

Revenus numériques ? Dans une industrie où la publicité est primordiale, il est important de noter que les médias numériques ont détourné un milliard de dollars de la télévision depuis 2014, selon une étude de Standard Media Index publié sur TubeFilter.

Facebook ? Le réseau social a cessé de prétendre qu’il ne s’intéressait pas au contenu vidéo, et il est désormais en concurrence directe avec YouTube. Toutefois, la controverse relative au « freebooting » s’accroît. En effet, selon The Guardian, le créateur de vidéos Hank Green serait furieux que des vidéos téléversées nativement dans Facebook — qui, selon le réseau social, seraient regardées plus de quatre milliards de fois par jour — semblent avoir la priorité sur les vidéos intégrées dans YouTube dans l’algorithme du fil d’actualité.

Toutefois, le principal problème auquel se butent les joueurs des médias — sous réserve qu’il s’agisse d’un véritable problème, plutôt que d’une simple tendance — n’est pas la surabondance télévisuelle, mais la montée spectaculaire du contenu sous toutes ses formes et sur tous les types de plateformes.

Cependant, il vaut la peine de noter que les expressions « Peak TV » et « âge d’or de la télévision » perdent une certaine pertinence lorsqu’il s’agit de contenu non scénarisé et de contenu ne provenant pas des États-Unis. Dans la rubrique Opinions du Hollywood Reporter,Marc Juris, président de WE tv, a écrit que le « nouvel âge d’or de la télévision ne devrait pas quitter la téléréalité », soulignant que le terme « réalité » était souvent mal employé, caractérisant inadéquatement un vaste éventail d’émissions différentes et distinctives identifiées au genre.

D’un autre côté, si l’on croit que Netflix incarne le changement numérique non linéaire de l’ère de Peak TV, il faut jeter un coup d’œil à la France, où, selon The Registerles consommateurs préfèrent s’en tenir à la bonne vieille télévision en direct « démodée » plutôt qu’à ces nouveaux services numériques artificiels comme Netflix.

Peak TV ne durera peut-être pas si les tendances boursières observées cet été continuent d’influer sur les entreprises de médias. Netflix, Apple, Disney, CBS Corp., Viacom, Time Warner et 21st Century Fox connaissent toutes une instabilité financière, selon Variety, et les prévisions d’Alan Sepinwall pourraient se réaliser plus tôt que prévu, nous laissant regretter l’âge d’or de la télévision :

Je peux envisager un avenir où l’économie aura une fois de plus explosé. De nombreux joueurs ont abandonné la partie, puis, soudainement, je suis assis à une table au cours d’une tournée de presse avec un groupe de critiques qui déplorent tristement le temps où tout allait si bien avec Peak TV.

Trop de télévision ? Une telle chose ne se produira pas, car la télévision — et sa créativité — est et sera toujours un reflet nécessaire de notre époque. Actuellement, il s’agit de produire le plus grand contenu possible, peu importe sa forme ou sa taille : il ne faut pas craindre Peak TV; il faut la célébrer !

Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat éditorial entre FMC Veille et le MIPBlog. Ce sujet, ainsi que d’autres tendances clés de l’industrie, seront aussi abordés MIPTV du 4 au 7 avril 2016 à Cannes. 


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