Sophie Ferron de Media Ranch: l’entrepreneuriat comme mode d’expression

En collaboration avec Femmes du cinéma, de la télévision et des médias numériques (FCTMN), FMC Veille part à la rencontre de femmes inspirantes pour vous proposer une série de contenus autour de l’entrepreneuriat au féminin dans les industries des écrans. Pour ce sixième portrait, nous avons choisi de vous présenter Sophie Ferron, la force motrice de Media Ranch, société canadienne de distribution de formats télévisuels.

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Crédit: Sandra Larochelle

Quand on grandit à l’intersection des milieux de la production, des médias et de la politique, il y a de fortes chances que l’on développe un sens aigu des affaires et de l’engagement. Ces chances, Sophie Ferron les a saisies dès son plus jeune âge. De son père, entrepreneur en série aux mille métiers ― dont celui de producteur ― elle a rapidement appris la valeur d’un produit et les notions de commandes, de clients, de profits. De sa mère ― députée, puis sénatrice ― elle a appris la ténacité.

Sa fibre entrepreneuriale, elle l’a d’abord mise à profit comme salariée. «J’ai vite compris que j’avais besoin de latitude et de pouvoirs de gestion pour être bien dans un poste; quand je n’en avais pas, je n’étais pas heureuse». Son parcours de gestionnaire s’est allongé au sein d’Astral Média, puis chez Technicolor, où elle a occupé le poste de vice-présidente de la distribution.Elle rejoint ensuite TQS comme chef des opérations.

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Crédit: Sandra Larochelle

Les valeurs comme moteur de création d’entreprise

En 2008, Sophie Ferron se retrouve à la croisée des chemins. Elle perd son emploi à TQS et se sépare de son conjoint; deux évènements qui l’amènent à réfléchir sur ses valeurs et sur ce qu’elle veut vraiment. La réponse tient en en quelques mots: contenus, création et une entreprise basée sur la collaboration, qui lui ressemble. Ainsi, d’un mandat de consultation avec la société néerlandaise Endémol, géant international des formats télévisuels, est née Media Ranch, dont elle dit fièrement que «ce n’est pas qu’une entreprise, c’est un mode d’expression, un prolongement de moi.»

Le modèle d’affaires est ambitieux par son unicité: être la première entreprise canadienne à produire et distribuer des formats qui voyagent à travers le monde tout en développant des formats canadiens à haut potentiel. Et c’est ici que les valeurs prennent toute la place: il faut être en mode collaboration avec des producteurs qui sont parfois des compétiteurs. «Quand j’aime une émission, je le dis. Il faut savoir reconnaître que quelqu’un a eu l’idée que tu aurais aimé avoir. Le succès des autres n’enlève rien au mien; au contraire, il faut se réjouir, être fier que le Québec et le Canada réussissent.» dit-elle.

A modèle unique… financement absent

Le succès, après 12 années d’existence, est au rendez-vous. La très grande majorité de l’activité de l’entreprise vient de ses partenariats internationaux avec des entreprises telles que la télévision publique Danoise DR, l’agence américaine ICM Partners ou l’italienne Pandora Format. Des formats tels que le jeu télévisé Watch se vendent dans des dizaines de territoires. Lors du MIPCOM 2019, elle a donné une deuxième vie à Surprise sur prise, qui a fait son grand retour sur la chaîne France Télévisions ce printemps. Mais Sophie Ferron reconnaît que son entreprise pourrait être encore plus développée avec un meilleur accès au financement.

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Crédit: Sandra Larochelle

«Expliquer à des banques que ta valeur d’entreprise, c’est de la propriété intellectuelle, ça ne rentre pas dans leurs modèles traditionnels. Pour expliquer ce que fait Media Ranch, j’utilise souvent l’image du logiciel: cela prend beaucoup de recherche et développement ― et pour cela, il faut des capitaux. C’est encore difficile de convaincre que la «P.I.», c’est pérenne, que ça peut être très rentable et permettre de capitaliser une entreprise», explique-t-elle.

De plus, à l’heure où les gouvernements fédéral et provincial parlent beaucoup d’export de la culture et reconnaissent, à juste titre, toute la créativité qui existe ici, Sophie Ferron déplore que les formats soient les grands absents des discussions et, par conséquent, du financement. «Les émissions de télévision qui s’exportent le plus? Les jeux. Et ici, comme on produit en fonction des fonds publics et pas en fonction du marché, les jeux et tout ce qui est “non-fictionnel” [unscripted] n’est finançable ni en développement, ni en production», se désole-t-elle. Elle ajoute: «C’est comme si tu ouvrais une boutique de vêtements, mais refusais de vendre la petite robe cocktail noire que tout le monde veut!»

S’inspirer d’autres industries pour tracer sa route 

La spécialiste des formats n’utilise pas l’analogie avec l’industrie des technologies uniquement que pour convaincre les banques. C’est également sa source d’inspiration pour le développement de Media Ranch. 

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Crédit: Sandra Larochelle

En 2018, elle crée L’Écurie en partenariat avec Québecor.L’incubateur,aura la mission d’offrir du mentorat et de l’encadrement d’experts pour la conception et le développement de formats à des groupes de six à huit créateurs. «Après deux années d’existence, nous avons déjà quatre projets de formats entièrement conçus ici qui sont en circulation sur les marchés internationaux», dit Sophie Ferron. Car si Media Ranch distribue pour le moment des formats étrangers, sa vision est claire: proposer, d’ici cinq ans, un catalogue de formats majoritairement canadiens.

L’objectif de Sophie Ferron est enfin ― et surtout ― de rester authentique dans tout ce qu’elle entreprend. Au fur et à mesure de la progression de sa carrière, elle a su prendre sa place, même là où on ne voulait pas l’attendre. 

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Crédit: Sandra Larochelle

Elle se remémore ses premières années sur le marché américain ― elle est souvent à Los Angeles ― où on la recevait avec condescendance, ne jugeant pas nécessaire d’accorder de l’attention à une femme, canadienne-française de surcroît. «J’ai vraiment travaillé fort pour faire ma place et je suis heureuse de voir le changement qui s’opère depuis les dernières années pour une meilleure reconnaissance des femmes en affaires et dans la société», se réjouit-elle.

Pour Sophie Ferron, la meilleure façon de prendre sa place est de rester soi-même, d’aimer ce que l’on fait, de faire preuve de bienveillance et de ne jamais aller contre ses valeurs. 

Ce conseil, elle le répète à ses deux filles et à toute future entrepreneure.


Note: Les photos qui accompagnent cet article ont été prises avant la pandémie de COVID-19.


Brigitte Monneau
Brigitte Monneau est directrice générale de Femmes du Cinéma de la télévision et des médias numériques, le chapitre québécois de Women in Film and Television International, depuis octobre 2017. Elle a commencé sa carrière comme conseillère juridique dans des sociétés de production télévisuelle avant de rejoindre Téléfilm Canada où elle a occupé plusieurs postes professionnels et de gestion. Elle a notamment été directrice des coproductions, directrice des relations internationales et a géré plusieurs équipes en relations d’affaires et à l’administration des programmes du Fonds des Médias du Canada. Elle se passionne par l’actualité de l’industrie des écrans et la mise en valeur des contenus ici et dans le monde.
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